Tablettes numériques en détention : les 125 millions d’euros du programme suffiraient-ils à financer 400 places de prison ?
Autrice : Maylis Ygrand, journaliste
Relecteur : Etienne Merle, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Fanny Velay, journaliste stagiaire & Clara Robert-Motta, journaliste
Source : Compte Facebook, le 7 mars 2025
Selon certains internautes, l’argent investi dans le programme « Numérique en détention » aurait pu financer 400 places de prison. Cette comparaison se base en réalité sur un budget prévisionnel encore en évolution. S’appuyant essentiellement sur les frais de construction, elle éclipse des frais de fonctionnement pourtant importants.
Après la polémique des massages en prison, place à celle des tablettes. Le 6 mars 2025, Le Figaro publiait un article pour dénoncer le coût du programme « Numérique en détention » (Ned), visant à équiper certaines cellules de tablettes numériques, qui s’élèverait à « 125 millions d’euros ».
Soit, d’après une publication de l’Institut pour la justice, le coût de ce programme serait « l’équivalent de 400 places de prison ». Un investissement que certains n’ont pas vu d’un bon œil, comme cette internaute qui compare la prison à un « club med ». « Rien n’est trop beau pour les violeurs et les assassins », ajoute un autre.
Au-delà de la question du bienfondé de l’utilisation des tablettes numériques par les détenus, que vaut cette comparaison ? Bien que le coût de construction de 400 places de prison s’approche effectivement des 125 millions d’euros (145 millions plus exactement), cette comparaison mérite d’être nuancée. En plus du coût de construction, une place de prison doit aussi être fonctionnelle. Une utilisation qui entraîne notamment des coûts concernant le personnel et qui augmente ainsi la somme réelle investie dans une « place de prison ».
Un budget prévisionnel réévalué à la hausse
Le coût d’une place de prison, voilà une somme qui n’a pas été simple à dénicher. Devant la multitude de sources (OIP, Institut Montaigne, etc.) Les Surligneurs se sont rapidement retrouvés devant des nombres drastiquement différents, allant de 150 000 à 360 000 euros.
Pour bien comprendre, il est nécessaire de s’intéresser aux sources utilisées pour effectuer cette comparaison. Cette dernière a été introduite par une publication X du journaliste qui a écrit l’article du Figaro à l’origine de la polémique sur le programme des tablettes : « Coût : 125 M€. Le prix de 400 nouvelles places de prison ! ».
Contacté par Les Surligneurs, le journaliste détaille : « Je me suis appuyé sur le budget prévisionnel du plan gouvernemental pour créer 15.000 nouvelles places de prison. Coût estimé : 4,5 Mds €. Soit environ 300 k€ pour une place de prison ».
300 000 euros la place. Multiplié par 400 : 120 millions. On atteint pratiquement les 125 millions d’euros pour 400 places, comme avancé par le journaliste.
« Ce chiffre n’est pas totalement farfelu », confirme Benjamin Monnery, maître de conférences en économie à l’université Paris Nanterre, qui a participé au récent rapport de la Cour des comptes réévaluant le coût de la journée en détention : « De manière très schématique, c’est le bon calcul à faire ».
En effet, selon lui, « le prix par place dépend énormément du type d’établissement. C’est pour ça que raisonner comme le fait le Figaro avec le nouveau plan des 15 000 places, c’est une bonne approche parce qu’il y a des établissements de type très variés dans ce plan ». Autrement dit, le calcul permet de faire une moyenne, sans pour autant prendre en compte les spécificités de chaque établissement pénitentiaire.
Entre les différents établissements qui existent, les coûts concernant leurs places se révèlent différents, selon le maître de conférences : « Concrètement, une place dans une maison centrale coûte beaucoup plus cher à construire quand on rapporte cela à la place. Ce sont des petits établissements avec peu de détenus mais très sécurisés ».
Mais bémol du calcul : le coût budgétaire du « plan 15 000 places de prisons » a depuis été actualisé. Des 4,5 milliards d’euros prévus initialement, le budget a depuis été réévalué à 5,4 milliards d’euros par la direction du budget en juin 2022, selon un rapport de la Cour des comptes de mars 2025.
Mécaniquement, le budget augmentant, le prix de la place de prison aussi. Ainsi, de 300 000 euros la place de prison, le coût de celle-ci passe désormais à 360 000 euros. Il ne serait ainsi possible de construire que 347 places avec 125 millions d’euros en poche et non plus 400.
Des frais qui en cachent d’autres
Autre point qui noircit le calcul d’après Benjamin Monnery : des coûts de fonctionnements éclipsés. Car, après les avoir construites, encore faut-il pouvoir utiliser ces places. Une problématique qui occasionne automatiquement des frais, notamment de personnels.
« Parce que si on tient compte des coûts de fonctionnement, on réduit mécaniquement ce nombre de 400, à 200 puis 100 etc. Tout dépend de l’horizon temporel qu’on choisit, est-ce qu’on tient compte du coût de fonctionnement de cette prison pendant seulement deux ans ou pendant cinquante ans qui est la norme habituelle en comptabilité publique ? », interroge Benjamin Monnery.
Alors que les coûts relatifs aux alternatives à la prison se révèlent plus économes, selon l’OIP et la Cour des comptes, des choix budgétaires vont devoir s’imposer. Avec 81 599 détenus au 1er février 2025 pour 62 363 places, la France a battu un nouveau record de surpopulation carcérale. D’après une étude du Conseil de l’Europe publiée en juin 2024, elle se situe désormais à la troisième place de la surpopulation carcérale en Europe, derrière Chypre et la Roumanie.
Concernant le programme « Numérique en détention », il a été suspendu par le ministère de la Justice, le 11 mars 2025, le temps d’une inspection, après la publication de l’article du Figaro qui dénonçait de potentiels abus. Les détenus des 16 000 cellules concernées n’ont, pour le moment, plus accès aux tablettes qui sont censées leur servir uniquement pour des actes internes à la vie en prison (commandes à la cantine, prises de rendez-vous, etc.).