Série (5) – Procès des attentats de janvier 2015 : lumière sur le rôle des informateurs

Création : 2 novembre 2020
Dernière modification : 21 juin 2022

Autrice : Myriam Hammad, diplômée de Sciences Po Lille, sous la direction de Jean-Paul Markus, professeur de droit public à l’Université Paris-Saclay

Les Surligneurs vous offrent une série d’éclairages sur le procès “hors normes” des attentats de janviers 2015, qui se tient jusqu’à début novembre. Les articles sont de Myriam Hammad et Alex Yousfi.

C’est au vingt-deuxième jour du procès des attentats de janvier 2015 qu’ont été abordées les questions portant sur la provenance des armes ayant servi à commettre les assassinats. L’instruction du dossier n’a pas permis d’établir l’origine de celles utilisées par les frères Kouachi. En revanche, les armes utilisées par Amédy Coulibaly ont pu faire l’objet de nombreuses investigations, mettant en lumière le rôle décisif d’un informateur de la gendarmerie, Claude Hermant. C’est justement l’occasion de rappeler le rôle de ces informateurs.

Pourquoi recourir à un informateur ?

Les informateurs, aussi appelés “indics”, “tontons”, ou bien encore “cousins”, fournissent des informations aux services de police, de gendarmerie, des douanes et des renseignements, en échange d’une rémunération. Les informateurs sont fréquemment des trafiquants, soit de stupéfiants, ou dans le cas des attentats de janvier 2015, d’armes.

Ces pratiques de coulisse entre la police et le milieu criminel ne sont pas sans risque. Le journal Le Parisien publiait, en 2019, un article sur le sujet : « […] le vieux couple flic-indic, construit tant sur la confiance que la méfiance, a aussi connu des ratés : corruption, manipulation, entourloupes… Pour éviter que de grands flics [commissaires et hauts gradés de la police judiciaire] s’acoquinent trop avec des voyous par intérêts mutuels, la police judiciaire exige désormais que le traitement des sources passe par les policiers de terrain, plus facilement contrôlables ».

Parmi d’autres, un exemple médiatisé de compromission explique cette précaution : l’affaire Michel Neyret. Ancien directeur adjoint à la direction interrégionale de la police judiciaire de Lyon, ce haut gradé a été condamné pour huit délits, dont corruption, trafic d’influence ou encore détournement de scellés de stupéfiants. Il lui était reproché, entre autres choses, d’avoir fourni des informations confidentielles à des membres du milieu criminel lyonnais, présentés comme des “indics”, en échange d’avantages, de cadeaux, et d’argent liquide.

Si cette situation est pour le moins rocambolesque, un cadre juridique spécifique s’applique pour encadrer ces relations et éviter que ces « arrangements d’arrière-boutique » entre la police et le milieu ne dégénèrent.

L’encadrement des relations entre les agents du service public et les informateurs

Le législateur est venu encadrer le recours aux informateurs par les agents du service public. Une loi du 9 mars 2004, dite Perben II, reconnaît la pratique. Le barème des rémunérations est cependant tenu confidentiel, même si l’enquête menée par le journaliste Christophe Cornevin en révèle certains détails.

Concernant les services de police, les agents sont autorisés à recourir à des informateurs afin de provoquer la preuve d’une infraction. Cependant, ils ne peuvent les utiliser pour provoquer l’infraction-même. Leurs échanges doivent faire l’objet d’un compte-rendu hiérarchique et les informateurs doivent être inscrits dans un registre du  Bureau central des sources, un organe de la Direction centrale de la police judiciaire.

Le Conseil d’État a, par ailleurs, reconnu la qualité de collaborateur occasionnel du service public à un informateur du service des douanes ayant permis l’arrestation de plusieurs trafiquants ainsi que la saisie de quantités importantes de produits stupéfiants. La reconnaissance de cette qualité de « collaborateur » permet à l’informateur de bénéficier de la protection fonctionnelle : en cas de poursuites civiles ou pénales à son encontre, ou de menaces voire de violences, il serait couvert par l’État.

Le fournisseur de l’arme de Coulibaly : simple trafiquant ou informateur ?

Le trafiquant d’armes lillois, Claude Hermant a été cité comme témoin par les avocats de la défense, ce vingt-deuxième jour de procès. Ce dernier a reconnu avoir acheté une partie de l’arsenal utilisé par Amedy Coulibaly à Montrouge et à l’Hyper Cacher. « Bien que condamné l’an dernier en appel à huit ans de prison pour trafic d’armes en bande organisée, il n’a [cependant] pas fait l’objet de poursuites dans le présent dossier », rapporte le journal Le Point.

À l’occasion du procès, il a été question de « trous dans la raquette » pour qualifier ses relations avec les gendarmes de la brigade du nord. Lors de son témoignage en audience, comme le souligne Charlie Hebdo dans son compte-rendu, Claude Hermant s’est avancé en précisant que s’il vendait des armes, c’était pour infiltrer, pour être au service de la gendarmerie. Il y a alors expliqué que ses actes avaient été « contrôlés » par les gendarmes. Ces derniers, interrogés également et floutés pour témoigner, sont restés évasifs sur les questions posées – ce qui n’est pas sans soulever, de nouveau, la question du rôle de chaque partie et la pratique de l’infiltration au sein des services dédiés à la sécurité publique.

Retrouvez les articles de notre série sur le procès des attentats de janvier 2015 :
Chronologie d’un procès hors normes
Pourquoi une Cour d’assises spéciale ?
Quels sont les chefs d’accusation ?
Pourquoi un procès filmé ?

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