Selon Xavier Bertrand, “aujourd’hui, quand une personne est condamnée à moins de deux ans d’emprisonnement, elle ne va pas en prison”
Dernière modification : 24 juin 2022
Auteur : Alex Yousfi, juriste spécialisé en droit privé
Relectrice : Charlotte Vincent-Luengo, doctorante en droit pénal et sciences criminelles, Université de Lille
Source : LCI, 7 septembre 2021
Avec cette déclaration, on entre dans le domaine du “legal fake” : Xavier Bertrand déplore, en réalité, les effets d’une loi de 2009 votée quand il était au gouvernement, et qui obligeait le juge à envisager l’aménagement des peines de moins de deux ans. Or, une loi de 2019 est revenue sur celle de 2009, dans le sens d’une plus grande sévérité.
Xavier Bertrand, candidat à l’élection présidentielle de 2022, assène sur LCI : « Aujourd’hui, quand vous êtes condamnés à moins de deux ans d’emprisonnement, vous n’allez pas en prison ». Il en résulterait une « impunité des délinquants ». Cette déclaration méconnaît la réalité actuelle du droit de l’exécution et de l’aménagement des peines privatives de liberté, modifié par une loi du 23 mars 2019. Xavier Bertrand devrait surtout se souvenir que, comme ancien ministre, il avait contribué à faire voter une loi du 24 novembre 2009 dont le seul objectif était de désengorger les prisons, et dont il dénonce aujourd’hui certains effets.
UNE LOI DE 2009 POUR LES PEINES INFÉRIEURES À DEUX ANS. BUT : DÉSENGORGER LES PRISONS
La loi du 24 novembre 2009 avait prévu que toute personne condamnée à une peine d’emprisonnement ferme inférieure ou égale à deux ans puisse bénéficier, « dans la mesure du possible et si [sa] personnalité et [sa] situation [matérielle, familiale et sociale] le permettent », d’un aménagement de peine, soit dès le prononcé de la peine, soit après décision du juge de l’application des peines (ancien article 723-15 du Code de procédure pénale). En d’autres termes, cette loi obligeait le juge à envisager l’aménagement de peine, mais ne l’obligeait pas à l’octroyer si les conditions n’étaient pas réunies. À l’inverse, lorsque la peine était supérieure à deux ans d’emprisonnement ferme, elle ne pouvait pas être aménagée.
Dans cette logique, la loi prévoyait une liste d’aménagements selon le profil de la personne condamnée : semi-liberté, placement à l’extérieur, placement sous surveillance électronique, fractionnement ou suspension de peines, libération conditionnelle ou encore conversion.
A l’époque, les spécialistes du droit pénal n’étaient pas dupes. La professeure Martine Herzog-Evans écrivait ainsi : « Obsessionnellement concentrés sur l’objectif de libérer des places de prison, les rédacteurs de la loi ont fait feu de tout bois pour faire ressortir – ou ne point entrer – de détention, un nombre aussi important de condamnés à des peines privatives de liberté que possible […] [au risque de provoquer] des effets pervers : une durée excessive de certains aménagements de peine […], un risque de rejet de l’opinion publique, spécialement en cas d’infraction grave commise par un probationnaire bénéficiaire de ces dispositifs, […] un risque de voir se développer un sentiment d’impunité… ».
UNE LOI DU 23 MARS 2019 POUR REVENIR SUR LES EFFETS DE CELLE DE 2009
Depuis une loi du 23 mars 2019, le droit de l’aménagement des peines a été modifié pour les infractions commises après le 24 mars 2020. Pour les infractions commises avant, la loi de 2009 s’applique toujours.
Désormais, il faut distinguer plusieurs hypothèses selon la sévérité de la peine :
Toute personne condamnée à plus d’un an d’emprisonnement ferme ne peut plus profiter d’aménagement de peine.
Si la peine d’emprisonnement ferme est comprise entre six mois et un an, la personne condamnée ne peut bénéficier d’un aménagement de peine que si sa situation et sa personnalité le permettent, et sauf impossibilité matérielle.
Lorsque la peine de prison ferme est inférieure ou égale à six mois, la peine doit être aménagée. L’aménagement ne sera refusé qu’en cas d’impossibilité liée à la personnalité ou à la situation du condamné (absence de domicile pour la pose d’un bracelet électronique par exemple).
Pour conclure, un candidat à l’élection présidentielle peut vouloir simplifier le droit de la peine, voire le rendre plus sévère, mais il doit éviter de déformer l’état du droit existant au point d’en faire une « fake news » juridique…
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