Selon Manuel Bompard, la clause de conscience « entrave » l’effectivité du « droit [à l’IVG], qui est désormais reconnu dans la Constitution »
Dernière modification : 7 mars 2024
Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public à l’Université Paris-Saclay
Relecteur : Vincent Couronne, chercheur associé en droit européen au centre de recherches Versailles Institutions Publiques, enseignant en droit européen à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye
Secrétariat de rédaction : Guillaume Baticle
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Source : Atlantico, 5 mars 2024
Le droit pour les médecins, sage-femmes et infirmiers de refuser de pratiquer une IVG n’est pas une entrave à la liberté de recourir à l’IVG, car la « clause de conscience » est une décision personnelle qu’un praticien ne peut imposer à son équipe.
Après avoir obtenu l’insertion de la liberté garantie de recourir à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) dans la Constitution, La France Insoumise (LFI), à travers la voix du député Manuel Bompard, coordinateur du parti, réclame la suppression de la clause de conscience, en tant qu’elle entrave cette liberté nouvellement reconnue. Or la clause de conscience a également valeur constitutionnelle.
La clause de conscience a valeur constitutionnelle
La clause de conscience (qui est en réalité un article de loi) a été votée en même temps que la loi Veil du 17 janvier 1975 autorisant l’IVG. On la retrouve à l’article L. 2212-8 du code de la santé publique (CSP) : « Un médecin ou une sage-femme n’est jamais tenu de pratiquer une interruption volontaire de grossesse« . Cette clause est reprise dans le code de déontologie médicale : « Un médecin ne peut pratiquer une interruption volontaire de grossesse que dans les cas et les conditions prévus par la loi ; il est toujours libre de s’y refuser » (article R. 4127-18 du CSP).
Il en va de même des sages-femmes et infirmiers ou infirmières, en application du même article L. 2212-8.
Si cette clause de conscience ne figure que dans la loi, le Conseil constitutionnel la rattache à la liberté de conscience : « si le chef de service d’un établissement public de santé ne peut (…) s’opposer à ce que des interruptions volontaires de grossesse soient effectuées dans son service, il conserve (…) le droit de ne pas en pratiquer lui-même ; qu’est ainsi sauvegardée sa liberté, laquelle relève de sa conscience personnelle » (Cons. constit. 18 oct. 2013). Or, la liberté de conscience est elle-même constitutionnelle (Cons. constit. 23 nov. 1977), ce qui protège donc la clause de conscience de la même manière que les autres libertés rattachables à la Constitution.
Pour autant, la clause de conscience n’est pas un droit absolu
Cette clause protège une liberté sans entraver les autres. Dès la loi Veil, le médecin qui refusait de pratiquer les IVG devait « informer, sans délai, l’intéressée de son refus et lui communiquer immédiatement le nom de praticiens susceptibles de réaliser cette intervention » (article L. 2212-8 du CSP).
Un chef de service (ou chef de pôle) ne peut interdire toute IVG dans son service ou pôle : il ne peut que refuser de la pratiquer lui-même.
Seuls les établissements de santé privés peuvent refuser toute pratique d’IVG en leur sein, mais la loi ajoute : « ce refus ne peut être opposé par un établissement de santé privé habilité à assurer le service public hospitalier que si d’autres établissements sont en mesure de répondre aux besoins locaux ».
En somme, la liberté nouvellement reconnue de recourir à l’IVG n’est en rien dirigée contre les professionnels de santé et contre leur conscience. En tant qu’elle est garantie, cette liberté oblige les professionnels de santé opposés à l’IVG à s’assurer que leur patiente puisse tout de même en bénéficier sans entrave. C’est déjà le cas, en tout cas en droit.
La loi peut à la limite être rendue plus effective en la matière, mais pas en supprimant une liberté constitutionnelle au profit d’une autre. Deux libertés de même rang doivent se concilier.
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