Selon Éric Zemmour, la Commission européenne “décide seule” de la politique européenne
Dernière modification : 27 juin 2022
Autrice : Lucie Dattler, master droit de l’Union européenne, Université de Lille
Relectrice : Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au centre de recherches VIP, Université Paris-Saclay
Source : Compte twitter Renaissance UE, 9 décembre 2021
Eric Zemmour se trompe doublement : l’Union européenne repose encore sur des traités rédigés et adoptés par les États eux-mêmes. De plus, pour la politique commerciale comme pour nombre d’autres politiques, les États sont incontournables, la Commission européenne ayant perdu en autonomie ces dernières années.
Lors de son intervention sur le plateau de France 2 le 9 décembre 2021, Éric Zemmour, candidat à l’élection présidentielle de 2022, a affirmé que d’une part l’Union européenne était de “moins en moins un accord de nations”, et d’autre part que “la politique commerciale n’est pas prise à l’unanimité des gouvernements mais par la Commission de Bruxelles toute seule”. C’est faux.
L’Union européenne a été créée sur la base de deux traités approuvés et signés par tous les Etats membres (donc un “accord entre des nations”) et c’est encore le cas aujourd’hui. Elle est donc loin de fonctionner comme des “États-Unis d’Europe”.
Si l’Union européenne fonctionne à certains égards comme un système fédéral – la monnaie, le commerce intérieur –, il n’en est pas moins vrai que les États membres restent impliqués dans le processus de décision.
Rien ne se fait sans les États membres
Ainsi, la Commission ne peut pas légiférer toute seule. Elle fait une proposition et le Conseil, institution représentant les gouvernements des États membres, vote à la majorité qualifiée (55 % des États membres réunissant 65 % de la population) ou à l’unanimité dans les domaines les plus sensibles comme la fiscalité. De plus, dans la plupart des cas, le Parlement européen, élu directement par les citoyens européens, a son mot à dire. La Commission a le pouvoir de proposer des lois, mais les États membres et le Parlement européen peuvent avoir le dernier mot.
De plus, chaque État peut s’opposer à certaines actions qu’il juge contraire à ses intérêts majeurs. L’exemple de l’accord commercial UE-Mercosur en est l’illustration : la France s’est opposée à cet accord qui ne garantissait pas une protection suffisante de l’environnement dans les pays d’Amérique latine.
L’aval des États membres et parfois des parlements nationaux étant nécessaire, une seule opposition peut empêcher l’adoption d’un traité international. C’est ce qui s’est passé en 2016 lorsque le parlement de la région de Wallonie, en Belgique, a voté contre le CETA, l’accord commercial UE-Canada.
La “comitologie” : un gros mot qui cache une présence forte des gouvernements auprès de la Commission européenne
Mais il faut encore ajouter un élément peu connu du grand public mais pourtant central dans la fabrication du droit de l’Union européenne. Une fois que le Parlement européen et les États membres ont adopté un acte législatif – qu’il s’agisse d’une directive ou d’un règlement par exemple –, il revient souvent à la Commission européenne de prendre des mesures d’exécution. Un peu comme lorsque le Gouvernement prend des décrets d’application d’une loi. Sauf que la Commission n’est pas seule à rédiger ces textes : depuis de nombreuses années, elle se fait aider par les États membres, qui participent à des réunions de préparation de ces textes, afin qu’ils soient le plus adaptés possible à ce que peuvent et veulent faire les gouvernements. C’est ce qu’on appelle la comitologie, un système très simple d’implication des États, même lorsque seule la Commission est censée intervenir.
Les États membres sont donc présents à quasiment toutes les étapes : de l’élaboration d’une loi européenne à leur application. Notons d’ailleurs que la France, ces dix dernières années, s’est rarement opposée à l’adoption d’un texte au sein du Conseil. En 2014, elle a par exemple voté contre la modernisation des Indications géographiques protégées pour le vin.
Le poids des États a été renforcé ces dernières années face à la Commission européenne
Le traité de Lisbonne, adopté en 2007 et entré en vigueur en 2009, a encore renforcé la place des États dans la politique européenne, en érigeant le Conseil européen – encore un autre “Conseil” – en institution, et même la deuxième la plus importante après le Parlement européen. Ce Conseil européen impulse les orientations politiques de l’Union, à la manière d’un “président collectif” de l’Europe. C’est le Conseil européen qui a donné son accord au plan de relance pour faire face à la pandémie, à l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050, ou qui peine à trouver une solution à la flambée des prix de l’énergie et sans qui peu de choses peuvent désormais être entreprises. L’Europe d’Éric Zemmour est donc plus une Europe fantasmée qu’une réalité politique et juridique. Qu’on en juge : même si leur accord n’est pas suffisant, peu de décisions sont prises en Europe sans une communauté de vues franco-allemande.
Contacté, Éric Zemmour n’a pas répondu à nos sollicitations.
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