Rémi Noyon, CC 2.0

Salon de l’agriculture : Marine Le Pen propose « un prix garanti par l’État »

Création : 4 mars 2024
Dernière modification : 6 mars 2024

Auteur : Guillaume Baticle, doctorant en droit public

Liens d’intérêts : aucun

Fonctions politiques ou similaires : aucune

Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay

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Fonctions politiques ou similaires : aucune

Source : BFMTV, 28 février 2024

L’Etat ne peut pas fixer un prix en l’état du droit. Il faut pour cela modifier la loi qui pose des conditions strictes. Le droit européen sera aussi un obstacle si la garantie des prix évince les entreprises européennes.

En visite au Salon de l’agriculture, Marine Le Pen réagissait à l’annonce d’Emmanuel Macron d’instaurer un « prix plancher » pour certains produits. Elle propose de son côté « un prix garanti par l’Etat au cas où les négociations n’arrivent pas à être conclues« . La loi ne le permet pas en l’état, et même si la loi était modifiée, cela risque d’aller à l’encontre du droit de l’Union européenne.

Pour fixer le prix en cas d’échec d’une négociation, il faut modifier la loi…

Il faut lire l’article L. 410-2 du code de commerce. Cet article rappelle le principe : “les prix des biens, produits et services (…) sont librement déterminés par le jeu de la concurrence”, sauf exceptions. Parmi ces exceptions, le même article prévoit : “dans les secteurs ou les zones où la concurrence par les prix est limitée en raison soit de situations de monopole ou de difficultés durables d’approvisionnement”, les prix peuvent être réglementés par un décret en Conseil d’État. Le secteur agricole, par la multitude des exploitations, n’est pas en situation de monopole.

Le même texte ajoute que le gouvernement peut prendre “des mesures temporaires motivées par une situation de crise, des circonstances exceptionnelles, une calamité publique ou une situation manifestement anormale du marché dans un secteur déterminé”, “contre des hausses ou des baisses excessives de prix”. A supposer que la situation du marché agricole conduise structurellement à une baisse des prix payés aux agriculteurs, seul un décret peut être pris…, dont la validité « ne peut excéder six mois ». Ce n’est pas sur six mois que la situation du marché pourra se régler.

Il faut alors modifier la loi. Mais cette loi se heurterait au droit européen.

… mais sans heurter le droit européen

La Cour de justice de l’Union s’est très tôt prononcée sur les blocages de prix par une décision du 18 octobre 1979 : des prix fixés par l’Etat peuvent être contraires au principe de libre circulation des marchandises s’ils aboutissent à handicaper les importations en provenance de l’Union. Ce serait le cas si la loi fixait des prix trop bas, empêchant les importateurs de répercuter leurs coûts d’importation (ce qui aurait pour effet d’évincer les produits européens non français). Et si l’Etat fixe des prix trop hauts, les importateurs ne pourraient pas répercuter leur avantage compétitif, ce qui constitue une forme de barrière à l’importation.

C’est pourquoi la même Cour de justice a jugé le 29 janvier 1985 que le prix fixé par l’Etat (ou « administré ») doit tenir compte d’une moyenne européenne, et ne pas se baser uniquement sur les coûts de production français. Si toutes ces conditions sont respectées, un prix peut être imposé par l’Etat. Sinon, la France s’exposerait à des sanctions européennes, et aussi à indemniser les entreprises étrangères empêchées d’importer.

Une mesure qui serait forcément limitée et facilement contournable

Compte tenu de ce qui précède, le législateur français ne pourrait que permettre une garantie en faveur du producteur français à l’égard des acheteurs français, mais pas à l’égard des acheteurs des autres pays membres. Sinon, il y aurait violation du principe de libre circulation intraeuropéenne.

En conséquence, le prix garanti par l’Etat serait purement franco-français. Rien ne pourrait empêcher un acheteur allemand par exemple de réclamer à un producteur laitier français un prix inférieur au prix garanti, et de l’obtenir. Rien ne pourrait non plus empêcher un industriel français d’acheter en Allemagne du lait à un prix moins élevé que le prix garanti français.

« Patriotisme économique »  ? OK, mais quelle sera la réaction des autres Etats ? 

« Patriotisme économique, notamment dans la commande publique » répond Marine Le Pen dans la même intervention, appelant les industriels français à acheter français, mais aussi l’Etat et les autres collectivités publiques. Or nous avons vu, pour les mêmes raisons, que la commande publique ne pouvait être orientée en fonction de la nationalité du producteur sauf dans quelques cas où il est possible de faire jouer des clauses environnementales pour exiger des circuits courts (cf. nos surlignages de Emmanuel Macron, Jordan Bardella, Eric Zemmour, et Arnaud Montebourg). Mais réserver la commande publique aux produits agricoles français est prohibé par le droit européen.

La seule solution  – en dehors d’une infraction  au droit européen qui coûterait très cher en termes de pénalités financières – serait donc de renégocier les traités européens pour exclure l’agriculture du libre échange. Et bien entendu, les autres Etats membres réserveraient à leur tour leur commande publique à leur propres agriculteurs. Nos agriculteurs, dont beaucoup vivent de l’exportation, s’en porteraient-ils mieux ?

Une question qui n’a pas été posée à Marine le Pen.

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