Robert Ménard, suspicion de mariage blanc et OQTF : une opposition illicite ?

Orror, CC 3.0
Création : 3 février 2024
Dernière modification : 7 février 2024

Autrice : Adeline Lehot, master droit du numérique, Université de Caen

Relectrices : Amandine Cayol, maître de conférences en droit privé, Université de Caen

Fanny Rogue, maître de conférences en droit privé, Université de Caen

Secrétariat de rédaction : Guillaume Baticle

L’obligation de quitter le territoire Français dont un des futurs époux est frappé ne suffit pas à elle seule à justifier l’opposition à mariage par un officier d’état civil. D’autant que le procureur de la République avait lui-même refusé de s’y opposer.

« Il veut épouser une femme qui a 6 ans de plus que lui, déjà mère de trois enfants : ça sent le mariage blanc à plein nez ! ». Ce sont les propos tenus par Robert Ménard, à l’appui d’un refus de célébrer un mariage qui lui vaut des poursuites judiciaires. Maire de Bézier et à ce titre officier d’état civil, Robert Ménard a donc refusé de célébrer le mariage d’une femme française et d’un homme algérien, au motif que ce dernier serait sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Or le procureur de la République avait donné son aval. L’obstruction du maire de Béziers est donc illicite sur la procédure, et en plus une OQTF n’est pas forcément la preuve d’un mariage blanc.

Un maire peut-il s’opposer à un mariage ?

Le maire de Béziers entendait s’opposer à la célébration du mariage au titre de la lutte contre les mariages blancs. En tant qu’il est officier d’état civil peut il s’opposer à la célébration dès qu’il suspecte un mariage blanc ? 

L‘article 63 du Code civil lui permet  de vérifier que les conditions de validité du mariage projeté sont réunies. L’obligation de  publication des bancs dix jours avant la date du mariage a justement pour objectif que d’éventuels empêchements puissent être révélés. De plus, depuis 2021, une audition par l’officier d’état civil peut avoir lieu avant la publication des bans dès lors que l’officier d’état civil suspecte un mariage simulé. A l’issue de cette audition, en cas de  doute sérieux quant aux intentions des futurs conjoints, le ministère public peut être saisi. Ce dernier, et lui seul, peut alors former opposition dans les quinze jours (Art. 175-1 du Code civil). L’opposition au mariage permet de suspendre la célébration d’un mariage, pour éviter a posteriori l’annulation du mariage.

 Il peut aussi diligenter une enquête, la célébration du mariage étant alors suspendue le temps de cette enquête. En revanche, le code civil ne prévoit pas de cas où l’officier d’état civil lui-même s’opposerait à la célébration du mariage. Il ne peut qu’alerter le ministère public en cas de suspicion, et ne peut, à lui seul, s’opposer à la célébration du mariage. 

En l’occurrence, le parquet après avoir analysé les déclarations des futurs époux, n’a pas fait opposition à la célébration du mariage, “estimant qu’il n’existait pas suffisamment d’indices sérieux lui permettant de présumer, en l’état, l’absence de consentement matrimonial, étant rappelé que le mariage est un droit fondamental”. D’où les poursuites engagées contre Robert Ménard : l’obtention d’un maire malgré l’aval du procureur peut être “puni(e) de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende” » d’après l’article 432-1 du code pénal

Une OQTF est-elle une raison suffisante pour refuser la célébration d’un mariage ?

Le droit au mariage est inscrit à l’article 12 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme. La liberté matrimoniale a également valeur constitutionnelle depuis une décision du Conseil Constitutionnel du 13 août 1993, ce qui signifie que les individus peuvent décider librement de se marier ou de ne pas se marier, sans que l’autorité puisse s’y opposer.  

D’après le code civil, le mariage est contracté par deux personnes de sexe différent ou de même sexe (Art. 143 du Code civil). Cet engagement répond à des conditions conditions propres telles que le consentement libre et exprès, la majorité des individus (sauf accord ou dispenses), l’absence de bigamie ou d’inceste, etc.. Si certaines de ces conditions ne sont pas remplies, le mariage ne sera pas valable et sera annulé.

Ainsi, le mariage n’est pas valable en cas d’absence de consentement de l’un des époux, ou en cas de consentement non conforme, par exemple lorsque le seul objectif est de bénéficier de certains effets secondaires du mariage. La Cour de cassation a ainsi affirmé qu’un consentement libre et exempt de tout vice est nécessaire pour la validité d’une union matrimoniale : les mariages simulés ou fictifs ayant comme seule intention un but étranger à l’union matrimoniale sont nuls (Cour de cassation, 20 nov. 1963). 

Dans le cas qui nous intéresse, le mariage n’est pas valable lorsque le  couple n’entend pas vivre ensemble mais seulement bénéficier de certains effets du mariage tels que l’obtention de la nationalité (Cour de cassation, 8 juin 1999) ou d’un titre de séjour (on parle alors de “mariage blanc”, ou “mariage de complaisance”.

En somme, rien dans la loi ne prévoit qu’une OQTF serait cause d’empêchement du mariage en tant que tel. Cependant il peut s’agir d’un indice permettant de suspecter un mariage simulé. 

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