Relaxe de Médiapart après la plainte de François de Rugy, lequel persiste et affirme que ce n’est qu’une relaxe de forme
Dernière modification : 22 juin 2022
Auteur : Momen Seddik, master droit public fondamental, Université Lyon III
Relectrice : Audrey Darsonville, professeure de sciences criminelles, Université Paris Nanterre
Source : Le Point, le 03 avril 2021
Même si le procureur a retenu le caractère diffamatoire de l’article de Médiapart à l’égard de François de Rugy, cela ne signifie pas que le journal aurait été condamné sur le fond. Les juges ne sont jamais obligés de suivre les réquisitions du procureur.
François de Rugy, député La République En Marche, a réagi à la relaxe par le juge pénal de Médiapart, qui était poursuivi pour diffamation dans un article qui accusait l’ancien ministre d’avoir bénéficié d’un logement social. François de Rugy, auteur de la plainte, affirme que cette relaxe du tribunal n’est basée que sur une erreur procédurale, de forme, et que si les juges avaient traité du fond, ils auraient retenu le caractère diffamatoire des propos comme l’a fait le procureur, et auraient abouti, selon lui, à une condamnation. Ce “point de droit” soulevé par François de Rugy est largement à nuancer…
Il est vrai que le tribunal ne s’est au final pas prononcé sur le caractère diffamatoire des propos de Médiapart. Il a considéré que François de Rugy aurait dû déposer sa plainte auprès du procureur de la République en tant que particulier visé par l’article, et non pas en tant que citoyen chargé d’un mandat public. Donc la plainte n’a pas été examinée sur le fond par le tribunal alors même que le procureur estimait qu’il y avait diffamation. Mais contrairement à ce qu’insinue François de Rugy, le fait que le caractère diffamatoire ait été retenu par le procureur de la République n’aurait pas nécessairement entraîné la condamnation de Médiapart devant le tribunal.
Il y a ici une confusion entre réquisitoire du procureur et jugement du tribunal. Le Code de procédure pénale précise le rôle du procureur, qui transmet ses réquisitions (c’est-à-dire la peine réclamée) aux juges, une fois les réquisitions du procureur en mains, les juges rendent leur jugement. Mais en vertu du principe de l’indépendance du juge, celui-ci n’est absolument pas lié par les réquisitions du procureur, et peut très bien considérer que le procureur s’est trompé sur la nature même des faits. Ainsi, s’il est vrai que le tribunal a rejeté sur une question de procédure, comme le dit à raison François de Rugy, il est impossible d’anticiper ce qui aurait été décidé sur le fond par les juges.
Contacté, l’ancien président de l’Assemblée nationale a répondu aux Surligneurs et a transmis les éléments du jugement qui confirment le rejet sur la forme. Dans la loi du 29 juillet 1881, il est prévu que l’on peut saisir le juge pour diffamation soit en tant que particulier, soit en tant que citoyen chargé d’un mandat public. Comme indiqué précédemment, le tribunal n’a pas traité de la diffamation car François de Rugy a porté plainte en tant que ministre, personne publique, et non pas en tant que particulier. La loi du 29 juillet 1881 a pour objectif de protéger la presse et la liberté d’expression en limitant les possibilités de poursuites et donc, contrairement aux autres procès, le juge pénal est limité en droit de la presse et ne peut pas corriger l’erreur de procédure pour traiter du fond, il ne peut pas requalifier. François de Rugy souligne que cette règle spécifique en matière de délits de presse, couplée à une prescription de trois mois qu’il considère trop courte, l’empêche de déposer une nouvelle plainte en suivant cette fois la bonne procédure. En tant que député, François de Rugy peut critiquer ces règles spécifiques et même proposer qu’elles soient modifiées, notre analyse n’en reste pas moins vrai sur le droit en vigueur.
Mise à jour le 9 avril à 18h32 : prise en compte de la réponse de François de Rugy et du contenu de la copie de travail du jugement, à laquelle Les Surligneurs ont eu accès.
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