Réfugiés afghans : « Ce n’est pas parce que les régions d’un pays sont dangereuses » qu’on a « automatiquement » droit à l’asile
Dernière modification : 24 juin 2022
Autrice : Tania Racho, docteure en droit européen, enseignante à l’université Paris-Saclay et Sorbonne-Nouvelle
Source : Compte Twitter de Sammy Mahdi, 9 août 2021
Il y a des erreurs dans l’affirmation de Sammy Mahdi et la lettre des 6 pays adressés à la Commission européenne au sujet des expulsions d’Afghans. D’une part, les Afghans pourraient prétendre à une protection automatique au vu des derniers développements dans leur pays. D’autre part, l’Union européenne n’empêche pas leur expulsion au contraire de la Cour européenne des droits de l’homme, qui n’a pas de lien avec l’Union européenne.
“Ce n’est pas parce que les régions d’un pays sont dangereuses que chaque ressortissant de ce pays a automatiquement droit à une protection”, a déclaré sur Twitter Sammy Mahdi, secrétaire d’État à l’Asile et la Migration en Belgique, au sujet des Afghans en situation irrégulière.
Cette intervention fait suite à la lettre adressée par six pays membres de l’Union européenne (Belgique, Danemark, Pays-Bas, Allemagne, Grèce et Autriche) à la Commission européenne lui demandant de ne pas suspendre les expulsions d’Afghans en situation irrégulière en raison de la reprise du conflit en Afghanistan.
Le Secrétaire d’Etat à l’Asile et la Migration Belge confond plusieurs aspects dans ce tweet qui est suivi de plusieurs autres en néerlandais dans ce qu’on appelle un fil (« thread ») sur Twitter.
Première erreur : il existe bien une protection automatique pour les personnes provenant de zones de conflit générant une violence aveugle d’une intensité exceptionnelle.
Il s’agit de la protection dite subsidiaire créée par la Convention de Genève par une directive de l’Union européenne, adoptée en 2011 par le Parlement européen et le Conseil réunissant les ministres des États membres. La question se pose parfois de déterminer si le niveau d’intensité exceptionnelle est atteint. Dans le cas de l’Afghanistan, la Cour nationale du droit d’asile reconnaissait jusqu’à fin 2020 que la plupart des provinces afghanes étaient caractérisées par cette violence aveugle d’intensité exceptionnelle.
Une décision de novembre 2020 est venue réévaluer cette intensité et constater que la violence avait diminué dans certaines provinces. Cette décision avait précédé celle des américains de se retirer du pays et pourrait à nouveau changer.
Sammy Mahdi a répondu à ce sujet, indiquant qu’il n’y a pas d’automatisme en raison de l’existence d’un examen individuel.
C’est tout à fait correct, simplement à l’issue de l’examen individuel, la simple provenance d’une zone de conflit générant une violence aveugle d’une intensité exceptionnelle suffit à octroyer la protection, quelle que soit l’histoire personnelle de la personne et à condition qu’il s’agisse d’un civil.
Deuxième erreur : lorsque la protection n’est pas accordée, c’est l’Union européenne qui a imposé des règles de retour mais chaque pays les organise comme il le souhaite
Dans une directive spécifique appelée “retour” adoptée en 2008 là aussi par les États membres et du Parlement européen, l’Union européenne impose des règles pour assurer le retour des étrangers en situation irrégulière dans leur pays d’origine.
En revanche, ce n’est pas l’Union qui organise par elle-même les retours de ces personnes, même si l’agence européenne Frontex les supervise parfois. Chaque pays gère l’organisation des retours des personnes en situation irrégulière.
Sammy Mahdi indique que l’objectif de la lettre est d’inciter l’Union européenne à coopérer avec l’État afghan au sujet des retours forcés des afghans. Il précise que seul l’UE peut prendre sa responsabilité à ce sujet.
Il est vrai qu’il existe un accord entre l’UE et l’Afghanistan et que celle-ci peut dialoguer avec le pays en question. Toutefois, cela n’aboutit en rien à une interdiction des retours ni à une incapacité de chaque État à agir à ce sujet.
Troisième erreur : c’est la Cour européenne des droits de l’homme qui impose de ne pas renvoyer, et non l’Union européenne
La confusion est fréquente : la Cour européenne des droits de l’homme n’a aucun lien avec l’Union européenne mais elle intervient sur les retours des personnes en situation irrégulière en indiquant aux pays qu’ils doivent vérifier que ces personnes ne subiront pas de tortures en cas de retour.
En cas de renvoi d’une personne dans son pays, qui subit ensuite des traitements inhumains et dégradants, la Cour retient la responsabilité du pays européen qui a renvoyé, même si la demande d’asile a été rejetée. Elle est ainsi intervenue début août 2021 contre l’Autriche au sujet du renvoi d’un afghan, afin d’en empêcher l’expulsion.
Une erreur dans ce contenu ? Vous souhaitez soumettre une information à vérifier ? Faites-le nous savoir en utilisant notre formulaire en ligne. Retrouvez notre politique de correction et de soumission d'informations sur la page Notre méthode.