Référendum sur le climat : pourquoi un échec de la procédure de révision constitutionnelle ?
Dernière modification : 22 juin 2022
Autrice : Ludivine Poulet, master politiques de coopération internationale, Sciences Po Saint-Germain
Relecteur : Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au laboratoire VIP, Université Paris-Saclay
Inscrire la protection de l’environnement dans l’article premier de la Constitution, c’est l’objectif que s’était fixé le Gouvernement pour respecter ses engagements à l’égard de la Conférence citoyenne sur le climat. Cependant, modifier la Constitution n’est pas une tâche facile et les désaccords sur le texte entre le Sénat et l’Assemblée nationale auront eu raison de cette révision constitutionnelle.
Pourquoi est-il si compliqué de modifier la Constitution ?
« Compte tenu de ce que prévoit l’article 89 de notre Constitution, ce vote (du Sénat) met hélas un terme au processus de révision constitutionnelle dont nous continuons à penser qu’il était indispensable à notre pays » a déclaré le Premier ministre, Jean Castex, après un second vote du Sénat rejetant la proposition adoptée par l’Assemblée nationale. En effet, le projet de révision n’a pas eu de mal à passer le vote de l’Assemblée Nationale mais depuis l’arrivée du texte à la chambre Haute, un véritable bras de fer entre le Sénat et le Gouvernement a commencé. Face à une impasse, le Gouvernement a finalement retiré son projet de révision.
En matière de révision constitutionnelle, c’est l’article 89 de la Constitution qui établit les règles, et bien entendu puisqu’on parle de modifier le texte fondateur de la République française, les règles sont contraignantes, bien plus que pour voter une simple loi. Selon cet article, l’initiative de la révision constitutionnelle doit venir du Premier ministre ou du Président. Le Gouvernement entendait donc modifier l’article 1er de la Constitution afin d’ajouter « La France garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et agit contre le dérèglement climatique ». Cette modification a été débattue et adoptée lors du second vote par l’Assemblée Nationale. Sauf que selon l’article 89, il faut que les deux chambres adoptent le projet de révision dans les mêmes termes. En effet, l’article prévoit que « Le projet ou la proposition de révision doit être voté par les deux assemblées en termes identiques ». Or, l’Assemblée a bien adopté le projet de révision selon les termes du Gouvernement quand le Sénat a voté pour sa propre proposition, rejetant ainsi la proposition soutenue par le Président. Dès lors, le Sénat dispose, en cas de révision constitutionnelle, d’un droit de véto qui bloque aujourd’hui le Gouvernement.
La tâche s’est compliquée car si le Gouvernement est soutenu par une majorité à l’Assemblée, ce n’est pas le cas au Sénat, dominé par Les Républicains. Dans l’éventualité où les deux chambres auraient adopté le même projet de révision, un référendum national aurait eu lieu afin d’inscrire définitivement dans la Constitution les nouvelles modifications. Le Président aurait aussi pu choisir de réunir le Congrès pour l’adoption finale, sans passer par le référendum.
Pourquoi la procédure de révision constitutionnelle a-t-elle échoué ?
La chambre Haute est sceptique face à l’utilisation de certains termes dans la proposition de révision constitutionnelle. En effet, suite à un avis du Conseil d’État, les sénateurs ont peur que le verbe “garantir” implique une obligation de résultat de la part de l’État en matière de protection de l’environnement, ce qui pourrait multiplier les recours à son encontre. De plus, parmi de nombreux arguments, la majorité sénatoriale craint aussi que la protection de l’environnement ne prenne le dessus vis-à-vis d’autres valeurs constitutionnelles comme le développement durable. Afin de vaincre ces peurs, le Sénat a adopté sa propre proposition selon laquelle la France “préserve l’environnement ainsi que la diversité biologique et agit contre le dérèglement climatique, dans les conditions prévues par la Charte de l’environnement”.
Sauf qu’une telle formulation n’ajoute pas grand-chose à la Charte de l’environnement de 2004, déjà inscrite dans le préambule de la Constitution et qui a donc la même valeur que cette Constitution. Dès lors, une révision constitutionnelle n’aurait pas eu beaucoup d’impact. En effet, la Charte de 2004 dans son article 6 prévoit l’engagement des politiques publiques pour promouvoir le développement durable. L’article prévoit à cette fin la conciliation par les pouvoirs publics de “la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social”. Dès lors, ajouter dans l’article 1er de la Constitution la protection de l’environnement selon les modalités de la Charte n’aboutira pas à plus d’engagement pour l’environnement.
L’article 89 de la Constitution est donc exigeant sur les modalités de révision constitutionnelle mais il sert par la même occasion de garde-fou : on ne révise pas à la légère. Cependant, dans le cas de la protection du climat, beaucoup ont dénoncé chez les sénateurs comme au Gouvernement des considérations politiques qui auraient pris de dessus sur l’enjeu environnemental.
Pas d’espoir de voir la protection de l’environnement inscrite dans l’article 1er de la Constitution ?
Pour le moment, face aux désaccords entre députés et sénateurs et à l’incapacité à trouver un compromis, le Gouvernement a officiellement mis un terme au processus de révision constitutionnelle. Le projet de révision n’est donc plus d’actualité et les membres du Gouvernement comme les sénateurs ont commencé à rejeter la faute. Certaines personnalités du Gouvernement ont blâmé un Sénat « climato sceptique » comme M. Gabriel Attal ou dans des termes plus modéré la Ministre de la Transition écologique, Mme Barbara Pompili, a dénoncé “que manifestement les sénateurs sont contre la transition écologique”. Du côté du Sénat, on a parlé d’un coup de communication de la part du Gouvernement qui aurait “instrumentalisé” la question environnementale. Cela a notamment été pointé du point par Bruno Retailleau, chef de file des Républicains au Sénat.
Pour sa part, la ministre de la Transition écologique a déclaré qu’elle était déterminée à voir ce processus aboutir bien qu’il ne soit pas facile de le remettre dans l’agenda parlementaire. “Il y a beaucoup de réformes qu’on veut continuer de faire passer. Est-ce que l’on va réussir à réinscrire le texte ? Il faut voir s’il y a possibilité d’atterrir sur une rédaction” a-t-elle considéré. La procédure de révision constitutionnelle prévue par l’article 89 protège donc la Constitution de toute modification abusive mais n’aura pas joué en faveur de la cause environnementale.
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