Rapport sur la pornocriminalité : une lutte plus ferme contre l’impunité de l’industrie pornographique
Auteur : Lola Dusserre-Bresson, master de droit des médias électroniques, Aix-Marseille Université
Relecteur : Philippe Mouron, maître de conférences en droit privé, Aix-Marseille Université, Institut de recherches et d’études en droit de l’information et de la culture (IREDIC)
Secrétariat de rédaction : Loïc Héreng
Le Haut Conseil de l’Égalité entre les hommes et les femmes (HCE) alerte sur la prolifération sur Internet de contenus constitutifs de délits d’agression sexuelle, de viol ou de pédocriminalité, avec un accès trop facile des mineurs. Il préconise une lutte accrue, notamment en utilisant mieux l’arsenal pénal les délits existant.
Par une décision du 5 janvier 2023, la Cour de cassation a apporté une précision importante à propos de l’article 227-24 du code pénal. Selon cet article, « le fait (…) de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support un message à caractère violent, incitant au terrorisme, pornographique (…) ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine (…) est puni de trois ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende lorsque ce message est susceptible d’être vu ou perçu par un mineur ». Et selon la Cour de cassation, ce texte s’applique « y compris si l’accès d’un mineur aux messages résulte d’une simple déclaration de celui-ci indiquant qu’il est âgé d’au moins dix-huit ans ». Autrement dit, les éditeurs de vidéos pornographiques doivent trouver une parade plus efficace que la simple déclaration d’âge, pour éviter que des mineurs aient accès à leurs contenus, sous peine de se voir condamnés.
Le problème est d’autant plus aigu que certains contenus disponibles sur ces plateformes tombent sous le coup de plusieurs infractions pénales. C’est dans ce contexte que le Haut Conseil de l’Égalité entre les hommes et les femmes (HCE), a publié récemment un rapport sur l’expansion de la pornocriminalité, qui pointe les risques encourus en raison de la consommation toujours plus massive de contenus, par des utilisateurs toujours plus jeunes.
Le constat : des actes illégaux filmés, des vidéos illégalement diffusées
Le rapport du HCE relève l’existence de dizaine de catégories de vidéos pornographiques, dont certaines sont particulièrement violentes, favorisant l’apologie d’une haine misogyne et d’une culture du viol. Il est notamment possible de visionner dans ces vidéos des agressions sexuelles (article 222-27 du code pénal), des viols (art. 222-23, C. pén.), de la pédocriminalité (art. 222-22), de la pédopornographie (art. 227-23-1), autant d’infractions pénalement répréhensibles, tout comme le partage de ces dernières sur les réseaux, car elles incitent à la violence et à la haine (L. 29 juill. 1881, article 24).
Selon le HCE, la multiplication de ce genre de vidéos mettant en scène des actes illégaux, et leur accès facile, ont pour effet d’altérer la vision d’une sexualité saine pour les consommateurs, qui sont de plus en plus jeunes : 51 % des garçons de 12 ans en consomment chaque mois, pour une première confrontation à la pornographie dès l’âge de 10 ans. Ces contenus illégaux proviennent de pratiques hors la loi, par lesquelles les producteurs de pornographie versent dans le proxénétisme, le trafic sexuel ou la pédocriminalité.
L’inefficacité de la plateforme PHAROS
Selon le HCE, le tabou qui entoure la pornographie contribue à ce que les plateformes diffusant du contenu illégal continuent de bénéficier d’une « fausse croyance de légalité ». Pour signaler des contenus manifestement illicites sur le net, il existe une plateforme appelée « PHAROS », mise en place en 2009 : c’est la « Plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements ». Elle est chargée de centraliser les signalements conformément à la loi de confiance en l’économie numérique (LCEN) du 21 juin 2004.
L’article 6-I-7 de la LCEN tend à prévenir la pornographie dite enfantine (mettant en scène des enfants), l’incitation à la violence, notamment aux violences sexuelles et sexistes, ainsi que les atteintes à la dignité humaine, par des dispositifs de répression, en particulier grâce aux signalements. Pourtant, malgré les nombreux signalements dont ils font l’objet, les contenus pornographiques violents, sexistes, à base de tortures et de traitements dégradants, ne sont pas retirés des sites pornographiques. En effet, le HCE présente dans son rapport des tests de signalement effectués sur les plus grandes plateformes présentant du contenu pornographique : aucun des contenus signalés n’a été retiré, alors même qu’ils seraient qualifiables de « pédopornographiques » au sens de la LCEN. L’association Osez le féminisme avait réalisé la même opération avant le HCE, obtenant le même résultat.
Le constat confirme les risques d’exposition des mineurs à la pornocriminalité, ce qui est contraire à l’article 227-24 du code pénal, qui a été renforcé sur ce point par la loi du 30 juin 2020, obligeant à installer des dispositifs filtrant à l’entrée sur les sites en question. Les plateformes devaient ainsi mettre en place des mesures prévenant les risques de connexion des mineurs. La CNIL, auditionnée par le HCE, affirme que « le Règlement Général sur la Protection des Données de 2016 ne s’oppose pas à un contrôle de l’âge en ligne pour l’accès aux sites pornographiques », et ajoute même qu’il pourrait être envisageable de mettre en place un contrôle grâce à l’utilisation de la carte bancaire. Autre alternative, un dispositif d’analyse des traits du visage pourrait également être mis en place.
Les recommandations du HCE
Selon le HCE, les instances européennes doivent « se saisir de cette problématique », en commençant par soutenir le projet de règlement européen sur la pédocriminalité en ligne. Il est ainsi proposé d’inclure la pornographie au titre de l’exploitation sexuelle dans la directive européenne du 5 avril 2011 sur la traite des êtres humains. Le rapport recommande également la criminalisation du partage illicite de contenu sexuel, notamment de contenus intimes diffusés sans consentement : cela pourrait figurer à l’article 7 du projet de directive sur les violences contre les filles et les femmes.
Actualiser la définition du proxénétisme
De même, le HCE enjoint les autorités d’agir plus fermement, notamment en définissant juridiquement la prostitution et le proxénétisme, pour pouvoir mieux appliquer les lois nationales en cas de contentieux. Par une redéfinition du proxénétisme, il serait possible de prendre en compte toutes les formes de marchandisation de la sexualité, notamment celles présentes sur les plateformes de contenus pornographiques. De plus, le HCE propose que la pornographie soit assimilée à de « l’exploitation sexuelle filmée », pratique qui se développe en raison de l’expansion du numérique. La jurisprudence appréhende mal la prostitution sur les plateformes numériques : un arrêt du 27 mars 1996 montre que la Cour de cassation en reste à une définition purement physique de la prostitution : « la prostitution consiste à se prêter, moyennant une rémunération, à des contacts physiques de quelque nature qu’ils soient, afin de satisfaire les besoins sexuels d’autrui ».
Mieux exploiter les infractions pénales existantes
Le Haut Conseil de l’Égalité affirme aussi qu’il est nécessaire de mettre en place une politique pénale assimilant certaines formes de pornographie à des violences sexistes et sexuelles, en se basant sur des infractions existant déjà : exposition des mineurs à la pornographie (art. 227-23 C. pén.), pédopornographie (art. 223-27), provocation à la haine et à la violence (loi 29 juil. 1181, art. 24). Le HCE prône également une formation des magistrats sur cette question, en intégrant un module sur la pornocriminalité lors de leur formation initiale et continue.
Faciliter le blocage des sites en passant par le fournisseur d’accès
Le HCE somme enfin la plateforme de signalement Pharos à agir efficacement, grâce à une collaboration avec les autorités compétentes et les fournisseurs d’accès Internet (article 6-1 de la loi du 21 juin 2004), afin de procéder à des retraits ou blocages des contenus illégaux, en étendant son pouvoir de police administrative aux contenus faisant l’apologie de la violence physique et sexuelle, ce qui pourrait être fait en les assimilant à des actes de torture et de barbarie.
La publication de ce rapport semble donc faire écho à une prise de conscience des dangers de certaines formes de pornographie et de l’inaction des acteurs institutionnels. La Cour de cassation, le 18 octobre 2023, vient à cet égard d’affirmer qu’une association de protection de l’enfance peut demander le blocage de l’accès à Internet d’un site pornographique accessible par des mineurs, sans passer par l’éditeur (c’est-à-dire celui qui diffuse) : il lui suffit de demander directement au fournisseur d’accès Internet désormais (c’est-à-dire celui qui transmet, comme Orange, Free, Bouygues Télécom, etc.). Grande avancée pour ces associations, face à des éditeurs souvent basés à l’étranger.
Cet article a été rédigé, lors de sa première publication, dans le cadre d’un partenariat avec le Master 2 Droit des médias électroniques de l’Université d’Aix-Marseille, entre octobre 2023 et janvier 2024. Plus d’articles peuvent être consultés sur le site internet de l’Institut de recherches et d’études en droit de l’information et de la culture (IREDIC)
Une erreur dans ce contenu ? Vous souhaitez soumettre une information à vérifier ? Faites-le nous savoir en utilisant notre formulaire en ligne. Retrouvez notre politique de correction et de soumission d'informations sur la page Notre méthode.