Que vaut cette carte censée montrer l’intelligence des habitants de chaque pays ?
Auteur : Nicolas Kirilowits, journaliste
Relectrice : Clara Robert-Motta, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Etienne Merle, journaliste
Source : Compte Threads, le 11 septembre 2024
Sur les réseaux sociaux, une “carte du QI mondial par pays” a refait surface. Censée mesurer l’intelligence dans le monde, cette carte, tirée d’un ouvrage polémique qui lie QI et génétique, ne repose sur aucun consensus scientifique.
Quelques couleurs, un fond blanc, une échelle sans source ni contexte et quelques mots, il n’en faut pas plus pour faire réagir de nombreux utilisateurs des réseaux sociaux.
D’après une publication sur Threads très commentée, une carte représenterait le QI de chaque pays. Ou plutôt, puisque cela n’est pas précisé, la moyenne de l’ensemble des habitants de chaque pays.
À la lumière de cette mappemonde, un constat s’imposerait alors : l’intelligence serait l’apanage des pays riches. En réalité, cette carte a une histoire faite de biais racistes et de méthodologie bancale qui date d’une vingtaine d’années. Quelle importance peut-on donner à cette carte ?
Une compilation de données d’une seule étude controversée
La version de la carte qui circule aujourd’hui sur Threads est celle que l’on retrouve sur le blog de David Becker, co-auteur en 2019 de l’ouvrage, avec Richard Lynn, L’intelligence des Nations.
Ce co-auteur, Richard Lynn, est l’homme qui a popularisé cette fameuse carte depuis le début des années 2000. Décédé en juillet 2023, il était notamment connu et décrié pour ses recherches et ses conclusions sur le lien entre intelligence et génétique, comme en réfèrent notamment cet article du Telegraph ou encore ces deux autres articles de la BBC (ici et là). Il a notamment été accusé de racisme et de sexisme dans son université d’ Ulster, en Irlande du Nord, dont il a depuis été licencié.
Les débats qui entourent Richard Lynn trouvent leurs sources dans un ouvrage, publié en 2002, intitulé QI et la richesse des nations. Un écrit controversé et à l’origine de théories sulfureuses sur une supposée génétique de l’intelligence et une supériorité, fallait-il en déduire, des sociétés occidentales. Une thèse basée sur la mesure du niveau intellectuel des pays qui permettrait ainsi de comprendre leur niveau de développement.
Pourtant, comme le relaie, par exemple cet article de nos confrères de CheckNews, en 2019 ou Franceinfo dans cette vidéo, la méthode employée par le chercheur a fait l’objet de nombreuses critiques.
Une méthodologie qui interroge
“Les auteurs n’utilisent pas les techniques méthodologiques les plus modernes et ne peuvent pas non plus étayer leurs affirmations théoriques”, écrit par exemple, en 2003, le chercheur Thomas Volken dans un article publié dans la European Sociological Review.
Contacté par Les Surligneurs, Franck Ramus, directeur de recherche au CNRS, renvoie, toujours à ce sujet, à la lecture de l’un de ses papiers publiés sur son blog personnel. On peut y lire, concernant la carte relayée sur Threads qu’elle “est à prendre avec des pincettes, car les scores représentés n’ont pas été obtenus avec des tests comparables sur des échantillons représentatifs de la population dans chaque pays”.
Une méthodologie hasardeuse que ne dissimule pas, par ailleurs, David Becker lui-même sur son blog. Ce dernier y écrit notamment que pour 104 des 185 pays étudiés par son mentor Richard Lynn et son comparse de l’époque, Tatu Vanhanen, la moyenne des QI nationaux ont été “estimés à partir des QI de pays proches et comparables sur le plan ethnique.”
Un procédé, pour le moins étonnant, qu’il affirme également appliquer, dans une moindre mesure, dans sa carte mise à jour (celle utilisée par le post) si l’on se réfère au commentaire qui l’accompagne.
Outre la façon dont les tests ont été conduits et compilés, la question même de la pertinence par cet indicateur reste ouverte. “Le QI est une mesure très dépendante du contexte culturel et n’est donc pas transportable d’un endroit à l’autre de la planète.”, assure aux Surligneurs Evelyne Heyer, commissaire scientifique du Musée National d’Histoire Naturelle.
Lien entre QI et génétique, vraiment ?
En effet, au-delà de la méthodologie utilisée, ce sont également les déductions sous-jacentes qui en sont faites qui posent un problème. Résumés trivialement, ces travaux laissent à penser que l’homme blanc est, du fait de sa génétique, plus intelligent que l’homme noir.
Une approche évidemment contestée par de nombreux chercheurs. “Aucune preuve n’a été apportée que les différences génétiques entre les peuples soient la cause des différences entre nations”, indique notamment Franck Ramus.
Le taux de scolarisation, la nutrition ou l’exposition des maladies sont “des explications bien mieux étayées pouvant expliquer ces différences”, précise-t-il. “Il y a bien d’autres formes d’intelligence : l’intelligence sociale, émotionnelle, créative, pratique, etc”, abonde Evelyne Heyer.
Une influence de l’environnement et du cadre social étayée dans cette analyse de 2018 portant sur 600 000 participants. “Nous avons trouvé des preuves cohérentes des effets bénéfiques de l’éducation sur les capacités cognitives, de l’ordre de 1 à 5 points de QI pour une année supplémentaire d’éducation”, est-il résumé sur la page d’accès à l’étude.
Malgré toutes ces réserves, cette carte a été largement utilisée pour véhiculer des discours légitimant le racisme via une pseudo-science. À l’été 2019, une partie de l’extrême droite avait réalisé des raids pour partager au maximum cette carte. Allant même jusqu’à arborer un petit “émoji” mappemonde à côté de leur pseudo Twitter pour montrer leur soutien à cette thèse, comme l’a décrit Libération.
Une utilisation facilitée par un “habillage problématique de la carte” alerte Françoise Bahoken, chargée de recherche en géographie à l’Université Gustave-Eiffel. “Dans le cas d’une donnée quantitative continue comme le QI, il aurait été nécessaire d’utiliser une seule couleur, avec des nuances différentes”, explique-t-elle. Et de préciser : “Le choix d’une palette de couleur arc-en-ciel vise à manipuler l’information et le public”.
Enfin, d’autres réflexions, davantage métaphysiques, surgissent ici et ne peuvent être écartées. L’intelligence se mesure-t-elle grâce au QI ? Est-ce l’intelligence qui crée la richesse ou l’inverse ? La richesse est-elle d’ailleurs un signe d’intelligence ?
De vastes problématiques auxquelles ni la science, ni Richard Lynn, ni David Becker n’ont de réponses, et encore moins une carte diffusée sur un réseau social sans titre, légende ou source.
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