Procès des viols de Mazan : la France face à son refus d’inscrire le consentement dans la définition du viol

Gisèle Pelicot, le 20 novembre 2024, à Avignon où se déroule le procès des viols de Mazan. (Photo : Christophe Simon / AFP)
Création : 25 novembre 2024
Dernière modification : 26 novembre 2024

Autrices : Emilie Esteves Celeiro et Marie-Pierre Lemarchand, Master 2 droit pénal et politiques criminelles, université Paris Nanterre

Relecteurs : Audrey Darsonville, professeure de droit pénal, université Paris-Nanterre

Etienne Merle, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, journaliste

Le « procès des viols de Mazan » met en lumière la complexité du cadre législatif français en matière de viol et relance le débat sur la nécessité de réviser sa définition pour y inclure une obligation de recueillir un consentement libre et éclairé. Et ce, notamment, dans les situations où la victime est dans l’incapacité de le donner.

Depuis son ouverture le 2 septembre 2024, le “procès des viols de Mazan” révèle au public la réalité du traitement judiciaire des viols en France. Dans cette affaire, une cinquantaine d’hommes sont accusés d’avoir commis des viols sur la personne de Gisèle Pelicot, alors qu’elle était sous l’effet d’une soumission chimique.

Alors que les réquisitions sont attendues dans les prochaines heures, cette affaire percute de plein fouet l’agenda européen qui se penche depuis plusieurs mois sur le consentement. Le 14 mai dernier, l’Union européenne a adopté une directive visant à réduire les violences faites aux femmes et à harmoniser les législations des États membres.

L’un des articles de cette directive proposait de renouveler la définition pénale du viol en intégrant le consentement, notamment dans un contexte où la victime est incapable de le faire de façon éclairée du fait de son état d’inconscience. Mais la France s’est opposée à cet article.

La France refuse une définition commune du viol

Pour comprendre, il faut revenir quelques mois en arrière. La directive du 14 mai 2024 élargit la définition des violences sexuelles au niveau européen. Elle intègre des actes encore peu ou pas reconnus dans certains États membres, tels que le cyberharcèlement, les mutilations génitales féminines, les mariages forcés ou encore le partage non consenti d’images intimes.

L’objectif est d’uniformiser la législation à l’échelle de l’UE tout en garantissant une meilleure protection des victimes, avec des mesures concrètes comme l’accès à une assistance juridique et sociale.

Mais un article — pourtant présent dans le projet de directive présenté deux mois plus tôt — a disparu de la directive finale. Il s’agit de l’article 5 qui proposait une définition du viol fondée sur l’absence de consentement en s’inspirant de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, dite « Convention d’Istanbul », dont l’UE est signataire depuis le 13 juin 2017.

La définition du consentement proposée était la suivante : “Les États membres veillent à ce qu’on entende par acte non consenti un acte accompli sans que la femme ait donné son consentement volontairement ou dans une situation où la femme n’est pas en mesure de se forger une volonté libre en raison de son état physique ou mental, par exemple parce qu’elle est inconsciente, ivre, endormie, malade, blessée physiquement ou handicapée, et où cette incapacité à se forger une volonté libre est exploitée.”

Lors d’une marche à Mazan, en soutien à Gisèle Pelicot, le 5 octobre 2024, une personne tient une pancarte où il est écrit « Without a YES it is NO [Sans un oui, c’est non] ». (Photo : Clément Mahoudeau / AFP)

 

Si le Parlement européen et plus d’une dizaine de pays, dont l’Espagne, la Belgique, la Grèce, la Suède et l’Italie, ont adhéré à la définition du viol proposée, d’autres, dont la France, se sont opposés à l’intégration du viol dans la législation européenne au motif que l’UE n’a pas de compétence en la matière.

En effet, ils considèrent que l’article 83 du Traité sur le fonctionnement de l’UE, qui énumère les domaines pouvant faire l’objet d’une harmonisation en matière d’infractions pénales, ne permettrait pas de légiférer sur le sujet.

Un argument auquel n’adhère pas le Parlement européen et la Commission qui considéraient que le viol pouvait entrer dans le cadre de l’exploitation sexuelle des femmes, domaine qui entre dans la compétence de l’UE.

Qu’importe ! Du fait des divergences entre les États membres et à l’issue des négociations au sein du Conseil de l’Union européenne défavorables à cette harmonisation,  la définition commune du viol n’a pas été retenue au sein de la directive.

Les limites du dispositif français

En France, le viol est défini dans le Code pénal, selon son article 222-23, comme « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit […] commis sur autrui […] par violence, contrainte, menace ou surprise ». Cette définition met l’accent sur le mode opératoire de l’agresseur qui permet de démontrer l’absence de consentement de la victime.

Dans l’affaire Mazan, les viols ont été commis sous l’effet de la surprise, puisque la victime était sous influence de substances chimiques, la rendant incapable de consentir librement.

Parmi les cinquante co-accusés, Dominique Pelicot a reconnu avoir administré les substances chimiques à sa femme et était donc, assurément, au courant de son état.

Les autres co-accusés soutiennent, pour leur part, qu’ils n’étaient pas “conscients” de participer à un viol, invoquant qu’ils n’avaient pas administré ces substances à la victime et qu’ils ignoraient son état. Ainsi, peuvent-ils être tenus responsables d’un viol si, selon leur défense, ils n’étaient pas conscients que la victime ne consentait pas, alors même que celle-ci était inerte ?

En l’état actuel du droit, la réponse semble négative : sans intention de violer, on ne peut parler de viol. Cette situation met en lumière une faille juridique dont les co-accusés semblent tirer parti pour tenter d’échapper à leur éventuelle responsabilité, même si à l’heure actuelle, on ignore si cette défense sera consacrée ou non par la Cour criminelle.

Une femme passe devant un collage où il est écrit « C’est un viol involontaire », devant le palais de justice d’Avignon, le 19 novembre 2024. (Photo : Christophe Simon / AFP)

 

On peut toutefois envisager que l’application du projet de la directive aurait pu permettre d’appréhender les faits reprochés aux accusés d’une façon totalement différente et ainsi éviter un tel débat.

En effet, cette situation d’espèce aurait été appréhendée différemment avec l’article 5 du projet de la directive européenne, qui proposait une redéfinition du viol centrée sur l’absence de consentement libre et éclairé de la victime.

Ainsi, il incomberait à l’auteur de toute relation sexuelle de s’assurer explicitement du consentement de l’autre, par exemple en lui posant tout simplement la question.

Dans le cas du procès de Mazan, cette définition renouvelée aurait permis aux autorités de poursuite de questionner les co-accusés sur leur vérification du consentement de la partie civile, vérification sans doute infructueuse puisque celle-ci était endormie sous l’effet de substances chimiques comme le révèlent les images enregistrées par son ex-mari.

 

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