Procès des viols de Mazan : comprendre le huis clos qui divise le public et les avocats

Gisèle Pelicot quittant le tribunal d'Avignon, où a lieu le procès des viols de Mazan. (Photo : Christophe Simon / AFP)
Création : 7 octobre 2024

Autrices : Ysé Manent, Morgane Carrere, Léa Rocard, Emma Bassères et Emma Rioufol-Regnouf, étudiantes à l’université Paris Nanterre

Relectrices : Audrey Darsonville, professeure de droit pénal, université Paris-Nanterre

Clara Robert-Motta, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, journaliste

En imposant un huis clos partiel, le président de la Cour a provoqué la colère des avocats de Gisèle Pelicot. Ce 4 octobre, il est revenu sur cette décision, suscitant, cette fois, l’indignation des avocats de la défense. Les Surligneurs vous donnent les clefs pour comprendre cette notion de huis clos qui crée tant de remous dans cette affaire.

Le procès hors norme “des viols de Mazan” qui a débuté le 2 septembre 2024 devant la Cour criminelle du Vaucluse, continue d’interroger le fonctionnement de la justice française. Un homme, Dominique Pelicot, est accusé d’avoir drogué sa femme, Gisèle Pelicot, et d’avoir proposé à plus de cinquante hommes de la violer pendant près de dix ans.

Des vidéos des abus, enregistrées par Dominique Pelicot, sont au centre du dossier et ont permis, notamment, l’identification des personnes renvoyées devant la juridiction pénale.

Montrer ou ne pas montrer

La diffusion de ces images sensibles a suscité de vifs débats. Doivent-elles être montrées au public ?  D’un côté, il y a ceux qui sont pour, afin de donner à voir la réalité des violences sexistes et sexuelles. De l’autre, ceux qui estiment que les accusés ont déjà eu à répondre de ces vidéos, et que les diffuser au public n’est pas utile pour la manifestation de la vérité.

Malgré la demande de huis clos de l’avocat général au début du procès, Gisèle Pelicot a insisté pour la publicité des débats, afin, selon ses propres mots, de “faire changer la honte de camp”.

Si la requête de la plaignante a été acceptée, certaines diffusions de photos et vidéos ont été limitées aux seuls membres de la Cour et des parties présentes, provoquant la colère des parties civiles et des journalistes. Ce 4 octobre, le président de la Cour criminelle du Vaucluse est finalement revenu sur cette décision, levant totalement le huis clos et scandalisant, cette fois-ci, les avocats des accusés.

Le huis clos : une exception au principe de publicité

Le principe de publicité des débats lors d’une audience pénale est un des piliers du fonctionnement de la justice en France. Il garantit une transparence de la justice en assurant le libre accès à toutes et tous aux salles d’audience ainsi qu’aux décisions rendues par les juridictions. C’est un principe absolu, qui opère devant toutes les juridictions pénales (Tribunal de police, Tribunal correctionnel, Cour criminelle départementale et Cour d’assises).

Il trouve son fondement à l’article 6 paragraphe 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et à l’article préliminaire du Code de procédure pénale qui visent à garantir le droit à un procès équitable.

Le huis clos de l’audience, qui signifie que seuls les professionnels et les parties au procès auront physiquement accès à la salle d’audience, constitue une exception à ce principe. En effet, si l’article 306 alinéa 1 du Code de procédure pénale dispose que “les débats sont publics”, il prévoit également des exceptions, cas dans lesquels les audiences seront tenues à huis clos.

Par dérogation, il est donc possible d’avoir recours au huis clos. Il peut être ordonné par le président de la Cour criminelle si la publicité est considérée comme “dangereuse pour l’ordre ou les mœurs”, en vertu de l’article 306 alinéa 1 du Code de procédure pénale. Le huis clos peut être total ou partiel s’il est mis en place pendant une partie du procès.

Le huis clos est également de droit à la demande de la partie civile pour quatre infractions : le viol, la torture et actes de barbarie accompagnés d’agressions sexuelles, la traite d’êtres humains et le proxénétisme aggravé (article 306 du Code de procédure pénale). Ainsi, la victime d’un viol, partie civile au procès, peut exiger le huis clos ou renoncer à cette possibilité qui lui est offerte. Gisèle Pelicot avait donc opté pour la seconde option en demandant la diffusion des vidéos.

Dangerosité pour l’ordre ou les mœurs

Cette publicité des procès pour viols est relativement nouvelle. Avant une loi de 1980, les procès pour viol se déroulaient obligatoirement en huis clos. Depuis cette loi portée par l’avocate Gisèle Halimi et son association Choisir la cause des femmes, les procès pour viol se déroulent en audience publique, sauf demande de huis clos exprimée par la partie civile. Gisèle Halimi expliquait notamment son combat par le fait que “la femme victime ne doit pas se sentir coupable et qu’elle n’a rien à cacher”.

Dans l’affaire des viols de Mazan, avant que le procès ne débute, le ministère public avait invoqué la dangerosité pour l’ordre ou les mœurs afin que les débats ne soient pas publics. Gisèle Pelicot s’y est opposée, refusant d’avoir recours au huis clos et le procès a donc démarré, respectant sa volonté de publicité des débats, comme le prévoit la loi.

Pour autant, le président de la Cour criminelle d’Avignon a annoncé le recours à un huis clos partiel lors de la diffusion des vidéos des faits commis sur Gisèle Pelicot. Ainsi, pendant leur diffusion, la presse et le public devaient sortir de la salle.

Police de l’audience

Cette décision a pu choquer. Des collages ont été affichés dans les rues d’Avignon, où a lieu le procès pour dénoncer ce choix : “Regardons, écoutons, non au huis clos” ou encore “Huis clos : éviction des preuves de viol”, pouvait-on lire.

L’association de presse judiciaire a également dénoncé une grave atteinte à la liberté d’informer”. L’association fustige “les méthodes abusives et méprisantes employées par le président de la cour criminelle du Vaucluse”.

Si chacun est libre d’apprécier la pertinence ou non du choix du président de la cour, sa décision ne contrevient pas au Code de procédure pénale. En effet, l’article 309 confère au président “la police de l’audience et la direction des débats”.

Ainsi, il doit rejeter “tout ce qui tendrait à compromettre leur dignité ou à les prolonger sans donner lieu d’espérer plus de certitude dans les résultats”. Le magistrat doit donc trouver un équilibre entre les articles 306 (sur la publicité des débats) et 309 du Code de procédure pénale (sur la direction des débats).

“C’est un procès qui a le pouvoir de changer la société”

Dans les affaires de violences sexuelles, l’audience publique est ainsi de droit à la partie civile (sauf décision contraire du président) et contribue à donner une certaine dimension politique au procès.

Il permet également de réintroduire les citoyens dans le procès à la suite de la suppression, dans certains cas, du jury populaire, par la création des Cours criminelles départementales. “C’est un procès qui a le pouvoir de changer la société”, avait assuré l’avocat de la plaignante, Maître Babonneau, arguant que la publicité des audiences permet à la société de prendre connaissance du déroulé du procès.

 

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