Prière collective dans un hall d’aérogare : Clément Beaune rappelle les « règles nécessaires »
Dernière modification : 16 novembre 2023
Auteur : Maxime Fauché, Juriste de droit public
Liens d’intérêts : aucun
Fonctions politiques ou similaires : aucune
Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
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Secrétariat de rédaction : Loïc Héreng
Source : Compte X (anciennement Twitter) de Clément Beaune, 6 novembre 2023
Prier en groupe dans un hall d’aéroport peut assurément gêner les autres passagers en bloquant certains passages, en faisant du bruit, ou en conduisant à du prosélytisme, ce qui peut justifier l’interdiction. Mais était-ce le cas à Roissy ?
Tout semble être parti d’un tweet de l’ancienne ministre des Affaires européennes et ex-membre du Conseil constitutionnel Noëlle Lenoir, qui a publié sur X un cliché montrant une séance de prière de pèlerins musulmans, dans un hall aéroportuaire dédié à l’attente des passagers et qui n’est pas prévu, à proprement parler, pour la pratique religieuse. Augustin de Romanet, PDG d’Aéroports de Paris, a réagi en affirmant que la police aux frontières avait « instruction d’interdire cela« et ordre de « redoubler de vigilance », ce que que le ministre des transports Clément Beaune a ensuite repris dans son propre tweet, restant toutefois plus vague. Et pour cause : l’interdiction de prier dans les aérogares, cela n’existe pas…
Le principe de laïcité ne s’applique pas aux usagers des aéroports
De nombreux internautes ont pointé ce qu’ils considèrent comme une atteinte au principe de laïcité. Toutefois, ce principe issu de la loi du 9 décembre 1905 et inséré depuis dans la Constitution (article 1er), n’est pas en cause. Ce principe de laïcité s’impose aux agents en charge d’un service public (art. L. 121-1 et L. 121-2 CGFP), même s’ils travaillent dans une entreprise privée (Loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, article 1er).
Mais ce principe ne s’impose pas aux usagers du service public, même s’il existe certaines exceptions, en particulier à l’école publique (loi du 15 mars 2004 sur le port de signes religieux en milieu scolaire), ce qui a permis au Conseil d’Etat de juger que l’interdiction du port de l’abaya et du qamis au sein des établissements scolaires n’était pas illégale (CE, 7 sept. 2023, Action droits des musulmans).
En somme, les usagers du service public aéroportuaire ne sont pas astreints au principe de laïcité, et les prières dans un hall ne sont pas interdites en soi, même s’il existe des chapelles dédiées dans les grands aéroports. Les individus sont libres de pratiquer leur religion, sous réserve du respect de l’ordre public, ce qui est valable pour toutes les libertés.
Liberté religieuse versus ordre public
Ainsi par exemple, les prières de rue ne sont pas interdites en France, dès lors qu’elles ne viennent pas troubler l’ordre public et qu’elles sont déclarées en tant que manifestation. C’est ce qui découle de l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. La liberté de conscience garantit donc le droit de prier n’importe où, y compris au sein de locaux dédiés au service public (en dehors des établissements scolaires notamment), à condition de ne pas gêner le service public en question, et de ne pas troubler l’ordre public. Or il y a gêne et donc trouble, lorsqu’une prière de rue bloque la circulation sans qu’une déclaration ait été faite, qui aurait permis à l’autorité de police de dévier la circulation, sécuriser les lieux et éviter tout accident.
Existait-il, en l’occurrence, un trouble au sein de l’aéroport de Roissy ? La presse rapportant des propos de source aéroportuaire, et notamment BFMTV, ne fait mention d’aucun trouble majeur, de type prosélytisme en plein aéroport, bruits et autres désordres. De plus, les Aéroports de Paris ne sont pas dotés d’un règlement intérieur qui interdirait les prières dans les halls d’attente. Enfin, l’épisode n’a duré que dix minutes.
Les prières dans un hall d’aérogare, un trouble en soi à l’ordre public ?
Dans ces conditions, ces prières au sein d’un espace dédié au service public constituent-elles en soi un trouble à l’ordre public, au point d’en interdire la tenue de manière automatique ? Il est vrai qu’il existe des espaces dédiés dans les aéroports, des chapelles consacrées aux principales religions. Mais cela ne saurait, en droit, signifier que la prière est interdite ailleurs, faute de texte allant dans ce sens.
Faut-il alors faire une différence entre le cas d’un ou deux religieux qui prient silencieusement ou à voix basse, assis dans le hall en attendant d’embarquer, et le cas d’un groupe de quinze ou vingt pèlerins qui prient dans le même hall en s’accroupissant à même le sol ?
En réalité, il semble que ce ne soit pas la prière qui pose problème, mais le regroupement compact de fidèles qui monopolisent une partie de l’espace public le temps d’une prière, au risque de gêner la circulation des autres passagers. Si la photo prise par Noëlle Lenoir ne montre aucune gêne de ce type, cette hypothèse constituerait certainement un trouble.
En somme, l’interdiction générale de prier dans les halls de gare serait assurément illégale. Mais veiller à ce que ces manifestations ne gênent pas les autres passagers (par des bruits, et encombrement des passages ou du prosélytisme par exemple) serait légitime. Les forces de police pourraient alors inciter les pèlerins en question à aller vers un espace où ils gêneraient moins et au pire faire cesser la prière. Bref, une contrainte proportionnée, comme toute mesure de police.
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