Pour Xavier Bertrand (LR), “si on s’en prend à un policier, à un gendarme, à un pompier ou un maire : la peine de prison doit être automatique”
Dernière modification : 22 juin 2022
Auteur : Charles De Waël, master 2 de droit pénal et politiques criminelles, Université Paris Nanterre
Relectrice : Audrey Darsonville, professeure de sciences criminelles, Université Paris Nanterre
Source : France info, 18 avril 2021
La loi ne peut pas prévoir de peine automatique, mais elle peut prévoir des peines planchers… dans certains cas seulement. Le juge doit en effet conserver une certaine marge de manoeuvre pour assurer le respect d’un principe constitutionnel : l’individualisation des peines.
À l’issue d’une année marquée par des débats visant à repenser la police, notamment par la mise en place du Beauvau de la sécurité, le candidat à l’élection présidentielle Xavier Bertrand envisage de réviser la constitution afin d’introduire une peine plancher d’un an pour les infractions commises à l’égard de certaines personnes selon leur profession.
Cette proposition est à nuancer à la lumière de la jurisprudence du Conseil constitutionnel concernant le recours aux peines plancher, un système mettant en cause un principe fondamental du droit pénal : l’individualisation des peines.
Le principe d’individualisation des peines suppose l’adaptation d’une peine à divers critères tels que la personnalité de l’intéressé ou l’existence d’une récidive légale. Le Conseil constitutionnel lui a accordé une valeur constitutionnelle en 2005 et il est inscrit dans le Code pénal qui dispose que « Toute peine prononcée par la juridiction doit être individualisée. »
Prévoir l’emprisonnement automatique des personnes ayant porté atteinte à un policier, un gendarme, un pompier ou à un maire méconnaît ce principe dès lors que l’automatisme fait obstacle à la compétence discrétionnaire qu’a le juge de prononcer et d’individualiser une peine.
En revanche, le législateur a pu prévoir, pour certaines infractions, une peine minimale en deçà de laquelle le juge ne peut descendre. Il est donc soumis, s’il prononce une peine d’emprisonnement, à ce que celle-ci soit d’une durée supérieure au minimum légal que le texte prévoit. Pour conforter le principe d’individualisation de la peine, le Conseil constitutionnel a eu l’occasion d’encadrer le recours à ces peines plancher. Pour les prononcer, le juge doit tenir compte de la gravité de l’infraction pour laquelle la peine minimale est prévue. Il doit aussi pouvoir, en fonction “des circonstances de l’infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties d’insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci”, prononcer une peine d’emprisonnement en deçà du seuil plancher.
Il ne serait donc pas impossible, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, de prévoir des peines planchers sans porter atteinte au principe d’individualisation de la peine, sous réserve du respect des conditions posées par les Sages. La loi pouvant prévoir de telles mesures, il n’est donc pas nécessaire de recourir, comme le propose le président du conseil régional des Hauts-de-France, à une révision de la Constitution.
La proposition de Xavier Bertrand questionne toutefois à trois égards
Tout d’abord, le Conseil constitutionnel admet la mesure de peine plancher pour des infractions punies d’au moins sept ans d’emprisonnement, considérant leur « particulière gravité ». Il est donc difficilement envisageable de généraliser le recours à la peine plancher pour toutes les infractions commises à l’égard des policiers, pompiers, gendarmes et maires, nombre de ces infractions, moins graves, étant passibles d’une peine d’emprisonnement inférieure à 7 ans.
La plupart des infractions sont déjà aggravées dès lors qu’elles sont commises contre certaines victimes selon leur profession, leur qualité ou leur état de vulnérabilité. Ces personnes étant protégées au même titre, opérer une sous-distinction entre elles serait difficilement justifiable, conduisant à considérer les infractions commises contre les policiers, pompiers, gendarmes et maires plus graves que celles commises contre les mineurs, contre les enfants ou le conjoint de l’auteur, contre les magistrats, jurés, avocats…
Enfin, si, depuis le Code pénal de 1810, la loi pénale a été marquée par divers mouvements d’intégration, de suppression et de réintégration des peines minimales, le législateur a entamé depuis 2014 un mouvement de suppression des peines plancher du droit répressif. En prévoir de nouvelles reviendrait à faire marche arrière, au détriment d’une certaine cohérence législative.
Instaurer des peines planchers aurait-il permis d' »éviter » les acquittements dans l’affaire de Viry-Châtillon ?
La nuance est donc de mise, d’autant plus que la mesure, si elle existait, n’aurait pas permis d’ »éviter » les huit acquittements des personnes mises en cause dans l’affaire des policiers brûlés à Viry-Chatillon, contrairement à ce que soutient Xavier Bertrand. Une dernière précision n’étant pas de trop, l’acquittement est prononcé lorsque les autorités de poursuite n’ont pas pu démontrer qu’une personne a participé à une infraction. L’existence de peines automatiques ne peut donc pas empêcher l’acquittement d’une personne déclarée innocente par la justice. Seule une décision de condamnation peut conduire au prononcé d’une peine. Contacté, Xavier Bertrand n’a pas répondu à nos questions.
Mise à jour du 4 mai à 8h40 : mise entre guillemet du mot « éviter » dans le dernier paragraphe pour rappeler qu’il s’agit bien du terme utilisé par Xavier Bertrand.
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