Pour Jordan Bardella : « Les lois françaises doivent être supérieures aux lois européennes »
Dernière modification : 4 mars 2023
Auteur : Guillaume Baticle, master de droit public, Université de Picardie Jules Verne
Relecteurs : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au centre de recherches VIP, Université Paris-Saclay
Secrétariat de rédaction : Yeni Daimallah et Emma Cacciamani
Source : SudRadio, Le Grand Matin, 8 février 2023, 34’
Faire primer la loi nationale sur les lois européennes reviendrait à un frexit juridique, sauf à faire admettre aux partenaires des réformes de l’Union européenne. Autrement, la France se verrait infliger de lourdes sanctions pour non-respect du droit européen.
Jordan Bardella, président du Rassemblement national, propose de restaurer la souveraineté juridique de la France et déclare que les lois nationales doivent être supérieures à la législation européenne. Comme Les Surligneurs l’ont (trop) souvent rappelé, mais la pédagogie étant l’art de la répétition, la primauté du droit national sur le droit européen nécessite de réformer ou de quitter l’Union européenne.
Modifier notre Constitution ne changerait rien vis-à-vis du droit de l’Union européenne
Pour renverser la primauté en faveur du droit national, la Constitution française doit être modifiée, en particulier l’article 55 qui prévoit la primauté des traités sur les lois nationales et l’article 88-1 qui prévoit également que le respect des normes européennes par la France est obligatoire. De plus, le Conseil constitutionnel en a fait une exigence constitutionnelle, dans une décision de 2004.
Une fois la Constitution réformée, ce qui nécessite une procédure assez lourde impliquant un accord transpartisan, les juridictions nationales pourraient faire primer le droit national en appliquant la Constitution.
Faire prévaloir le droit français sur celui de l’Union nous contraindrait à en sortir
Jordan Bardella propose la primauté du droit national sans pour autant vouloir quitter l’Union européenne. Mais l’adhésion à l’Union s’accompagne de l’obligation d’appliquer ses règles dites “supranationales”, car elles ont précisément vocation à prévaloir sur le droit national. C’est le principe même des traités qui ont créé l’Union européenne, lesquels ne sont jamais qu’un contrat entre États. Or, un contrat se respecte. Les traités régissant l’Union européenne mettent en place ce qu’on appelle un ordre juridique autonome : des “lois” européennes (des directives, des règlements), et les traités eux-mêmes, tous ces textes primant sur la loi nationale, comme le martèle la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) depuis une décision de 1964, et comme l’ont reconnu les États membres en 2007 en signant unanimement une déclaration en ce sens.
Rester au sein de l’Union européenne sans faire primer les textes européens qui en découlent est incompatible en l’état du droit européen. De plus, cela ferait encourir de fortes amendes à la France, pour manquement à ses obligations européennes (la France fut ainsi condamnée par la CJUE en 2004 car elle n’a pas appliqué les textes européens sur les OGM). Certains États, il est vrai, font durer le suspens sur le point de savoir s’ils vont payer l’amende, ainsi de la Pologne, astreinte à une amende d’1 million d’euros par jour depuis plus d’un an jusqu’à ce qu’elle se mette en conformité avec la législation européenne. Mais une telle attitude ouvrirait une grave crise de l’État de droit, une composante de “l’identité même de l’Union”, comme l’a affirmé à l’unanimité la Cour de justice en février 2022.
En somme, si la France ne veut pas accumuler les amendes en faisant primer son droit national, il lui faut soit convaincre les autres États de modifier les traités, soit sortir de l’Union.
Contacté, Jordan Bardella n’a pas répondu à notre sollicitation.
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