Peut-on interdire le droit de grève pendant les vacances scolaires, comme le demande Éric Ciotti ?
Auteurs : Pascal Caillaud, chargé de recherche CNRS en droit social, Laboratoire Droit et changement social, Nantes Université
Thomas Petit, master de Culture & Communication, Science Po Saint-Germain-en-Laye
Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Source : Compte X d'Eric Ciotti, 13 novembre 2024
En prévoyant de limiter les grèves lors des vacances scolaires, des jours fériés et de la période de Noël, la proposition d’Éric Ciotti prohibe l’exercice de ce droit constitutionnel pendant quasiment la moitié de l’année. Disproportionné au regard de l’intérêt général invoqué, un tel texte serait probablement considéré comme inconstitutionnel
En prenant pour exemple la loi italienne, Éric Ciotti propose d' »interdire la grève le temps des vacances de Noël et pendant les vacances scolaires« . Mais une telle proposition de loi sera probablement considérée comme contraire à la Constitution.
S’inspirant de la législation italienne qui prohibe les grèves durant les fêtes de fin d’année (entre le 17 décembre et le 7 janvier), celles de Pâques (cinq jours avant et les cinq jours après le dimanche de Pâques), les vacances d’été (du 27 juin au 4 juillet et du 28 juillet au 3 septembre) ainsi qu’à celles de la Toussaint (du 30 octobre au 5 novembre), le député UDR des Alpes-Maritimes fait écho à la même proposition que la députée Véronique Besse formulait l’année dernière. Cette dernière souhaitait “apporter à tous les voyageurs des garanties afin qu’ils soient certains de pouvoir jouir d’un droit fondamental : celui de voyager”.
Concilier le droit de grève avec les autres droits constitutionnels
Eric Ciotti oppose au droit de grève la « liberté de travailler, de circuler et […] de vivre » des usagers. La liberté d’aller et venir a bien été reconnue comme un principe de valeur constitutionnelle ainsi que celui de continuité des services publics. C’est principalement avec ces derniers principes que doit être concilié, dans le cadre des lois qui le réglementent, le droit de grève, également constitutionnel. Il appartient ainsi au Parlement de concilier la grève et la sauvegarde de l’intérêt général auquel elle peut porter atteinte.
L’interdiction du droit de grève : des cas très limités.
Actuellement, le nombre de professions privées du droit de grève en France est limité à certains agents publics, tels les soldats et gendarmes, les membres des compagnies républicaines de sécurité (CRS), les policiers, les gardiens de prison et les services extérieurs de l’administration pénitentiaire, les magistrats de l’ordre judiciaire, les services des transmissions du ministère de l’Intérieur et les ingénieurs des études et de l’exploitation de l’aviation civile.
De 1964 à 1984, les contrôleurs de la navigation aérienne ont également été privés du droit de grève avant que ne soit établi un régime de service minimum. Les personnels du secteur des transports entreraient-ils dans la catégorie définie par le Conseil constitutionnel comme celle des “agents dont la présence est indispensable pour assurer le fonctionnement des éléments du service dont l’interruption porterait atteinte aux besoins essentiels du pays” ? Défini de façon aussi générale, cela paraît peu probable.
L’ampleur de l’interdiction : une question de proportion… ou de disproportion
La simple lecture du calendrier des vacances scolaires montre que celles-ci, toutes zones confondues, couvrent 20 semaines du calendrier, auquel s’ajoutent les cinq jours de “veille de vacances” et quatre jours fériés (8 mai, lundi de Pentecôte, jeudi de l’Ascension et 11 novembre) non inclus dans ces périodes.
Sachant qu’un salarié du secteur des transports travaille 47 semaines par an (si l’on déduit ses 5 semaines de congés payés), c’est donc sur quasiment la moitié de l’année de travail que le droit de grève lui serait interdit. Cette limitation des conditions d’exercice du droit de grève ne serait-elle pas disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi par le législateur (qui est, on le rappelle, protégé le droit de voyager) ? Probablement.
Pas de grève pendant les vacances scolaires : un intérêt général impérieux ?
Rappelons-le : les vacances scolaires sont avant tout destinées au repos des enfants dans leurs apprentissages. Interdire la grève sur la base de ce calendrier vise donc les seules familles avec enfants ou petits-enfants encore dans le système scolaire. Qu’en est-il de l’énorme proportion de Français sans enfants ou dont ceux-ci sont adultes, qui partent hors saison, principalement pour des raisons économiques ? Leur “droit de voyager” serait-il moins digne d’être protégé que celui des familles avec enfants scolarisés ?
D’autant que le Conseil constitutionnel a récemment considéré que la détermination du cycle des vacances scolaires – cinq périodes de travail de durée comparable, séparées par quatre périodes de vacances des classes – relevait de la compétence du gouvernement et non de la loi.
Cela signifie que le gouvernement peut modifier ce calendrier pour des raisons économiques, d’activités de loisirs d’hiver… voire de compétitions sportives : on le voit, le droit de voyager et le droit au repos des enfants passent bien après d’autres intérêts généraux.
Une alternative serait-elle un aménagement de la loi 21 août 2007 obligeant les agents des services publics de transports terrestres à se déclarer 48 heures à l’avance lorsqu’ils entendent faire grève ?
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