Parlement européen et politique étrangère de l’Union européenne : quelle influence ?

Création : 23 février 2024

Autrice : Capucine Lemaire, master de droit de l’Union européenne, Université de Lille

Relecteur : Christian Osorio Bernal, juriste et enseignant en droit international et européen des affaires, Université de Lille

Secrétariat de rédaction : Sasha Morsli Gauthier

Le Parlement européen, qui devra être renouvelé en juin 2024, exerce une influence mal connue sur la politique étrangère de l’Union européenne. Or, bien des accords internationaux engageant l’UE ne peuvent entrer en vigueur sans son approbation, mais aussi sans qu’il soit consulté en amont. Même la protection de l’environnement et la lutte contre le changement climatique sont concernées.

La Politique étrangère et de sécurité commune (PESC), établie en 1993 et régie par le traité de Lisbonne depuis 2009, guide les actions diplomatiques de l’Union européenne.

Cette politique tend à harmoniser les efforts des États membres en faveur de la paix, de la sécurité et des valeurs démocratiques. Institution incarnée par le Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (HRAEPS), actuellement Josep Borrell, qui dirige le Service européen pour l’action extérieure (SEAE), cette instance occupe une position centrale dans les relations internationales de l’UE. Même si les services de la PESC ne sont pas installés au sein même du Parlement, ce dernier exerce une forte influence sur la conception et l’exécution de cette politique.

Quel est le rôle du Parlement européen dans la définition de la PESC ?

Les États membres conservent le contrôle sur la politique étrangère de l’Union avec un pouvoir de décision au niveau du Conseil européen où se réunissent les dirigeants des 27 États membres de l’UE. Ce contrôle s’exprime, selon l’article 26 du Traité sur l’Union européenne (TUE), à travers des décisions prises à l’unanimité. Ainsi, un seul État peut bloquer le processus décisionnel.

Néanmoins, le Parlement exerce une influence grandissante, ayant soutenu la création du poste de HRAEPS, ainsi que l’établissement du SEAE. Il maintient également un dialogue permanent avec les organes européens compétents en matière de politique étrangère de l’Union, tels que le SEAE, la présidence de l’Union, le secrétariat du Conseil et la Commission européenne.

De plus, le Parlement européen dispose d’un droit d’information en vertu de l’article 36 du TUE, qui oblige le Haut représentant à le consulter régulièrement sur les évolutions de la politique étrangère. En cas de non-respect de ce droit, le Parlement peut saisir la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Tel fut le cas en 2016, à propos d’un accord sur une opération maritime anti-piraterie entre l’Union européenne et la République de Tanzanie : la Cour a confirmé à cette occasion le droit du Parlement à être consulté lors des phases intermédiaires des négociations. Ainsi, le fait d’omettre de consulter le Parlement, en cours de négociation d’un traité par exemple, peut entraîner l’annulation par la Cour des actes issus de cette négociation.

Cette influence sur la politique étrangère s’étend également à l’approbation annuelle du budget de la PESC ainsi qu’au choix des financements, comme l’adoption du plan de relance pour l’Europe “Next Generation EU”, destiné à renforcer les liens économiques des États membres suite à la crise du Covid 19.

Quelques exemples d’intervention du Parlement européen dans la PESC

Récemment, le Parlement a produit de nombreux rapports et avis mettant en lumière son implication dans la PESC. À titre d’exemple, le rapport du 3 janvier 2024 sur la participation des députés européens au Forum public de l’OMC 2023 souligne l’urgence des actions dans ce domaine. En tant que co-président de la 52e réunion du Comité directeur de la Conférence parlementaire sur l’OMC, le Parlement réitère son engagement en faveur du commerce international et de la protection de l’environnement.

Par un avis récent, le Parlement s’est également impliqué dans les défis et opportunités de coopération en matière de sécurité dans la région Indo-Pacifique. Cet avis, élaboré par différentes commissions spécialisées du Parlement, a contribué à définir la position de l’Union sur des enjeux dépassant ses frontières.

Avec 45 délégations interparlementaires permanentes, le Parlement européen entretient des liens avec d’autres parlements et organisations hors de l’UE, comme le Groupe des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (OACPS), renforçant l’influence de l’Union par la promotion de la démocratie et les droits de l’homme. Les délégations organisent des rencontres annuelles favorisant le dialogue entre les députés européens et leurs homologues étrangers. Ces délégations interagissent également avec l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, contribuant au positionnement du Parlement européen sur la scène internationale : ainsi, une délégation a pu être envoyée en Inde afin de contribuer à la politique étrangère de l’Union européenne en matière de défense.

De plus, le Parlement européen surveille les négociations et la mise en œuvre d’accords internationaux conclus par l’Union. Il doit désormais donner son approbation préalable à tout accord spécifiquement mentionné à l’article 218.

Cependant, certains aspects clés de la politique commerciale restent sous le seul contrôle des États membres. La CJUE a clarifié la répartition des compétences entre les États membres et l’Union à l’occasion d’un avis rendu le 16 mai 2017 : l’Union dispose d’une compétence exclusive lors des accords de libre-échange (en l’occurrence avec la République de Singapour), à l’exception de certains éléments spécifiques relevant d’une compétence partagée. C’est notamment le cas des dispositions relatives au règlement des différends permettant de réguler les conflits issus d’accords internationaux entre investisseurs et États tiers.

Défis et opportunités de la prochaine législature

La composition politique du Parlement pourrait changer lors des élections européennes de juin 2024. L’institution sera confrontée à des défis liés aux divergences d’opinions entre les États membres, notamment, sur les principaux conflits internationaux.

L’aide financière à l’Ukraine, discutée lors de la révision à mi-parcours du budget pluriannuel, rencontre des obstacles. Ainsi, il pourrait devenir plus difficile d’obtenir un consensus parmi les États membres, notamment à propos du soutien à l’Ukraine dans sa guerre contre la Russie. Or, le 6 février 2024, le programme “Facilité pour l’Ukraine”, doté d’un financement de 50 milliards d’euros, a été approuvé à la fois par le Conseil et le Parlement.

De même, l’Union éprouve des difficultés à élaborer une stratégie commune face à la situation tendue au Moyen-Orient. Le Haut représentant, Josep Borrell, a souligné les défis à relever pour parvenir à une position unanime en faveur d’un cessez-le-feu et la libération des otages.

Enfin, dans la communication intitulée “Priorités législatives de l’UE pour 2023 et 2024”, le Parlement accorde une grande priorité à des objectifs politiques, notamment la protection des valeurs fondamentales de l’Union. Or ces valeurs ne sont pas toutes partagées ou interprétées de la même manière par les parti politiques menant des listes aux élections.

Dans le cadre de la promotion du mode de vie européen, programme lancé par la Commission européenne, le Parlement s’efforce également de finaliser la réforme législative sur la migration et l’asile, ainsi que de reconnaître les qualifications des ressortissants de pays tiers et de numériser les procédures de visa d’ici 2024.

Environnement, climat, et PESC : c’est lié

La nécessité de faire face aux problématiques mondiales en matière d’environnement comporte également des enjeux de politique étrangère, avec notamment le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité. Cet accord impose aux grandes entreprises opérant dans l’UE, qu’elles soient originaires de l’Union ou non, d’adopter des mesures proactives pour prévenir, détecter et atténuer tout impact négatif sur les droits de l’homme ou l’environnement.

Or, depuis, une directive a été adopté a cet effet : les entreprises doivent désormais s’assurer que leur modèle économique est conforme à l’objectif de l’accord de Paris (COP 21) visant à limiter le réchauffement climatique à 1,5°C, sous peine de sanctions pécuniaires. Cette vigilance inclut les activités des entreprises partout dans le monde.

En somme, les résultats des élections, prévues les 6 et 9 juin 2024, vont influencer de manière décisive l’orientation future de la PESC, façonnant la manière dont le Parlement défendra la démocratie, l’État de droit, les droits de l’homme, l’environnement, et participera aux débats sur les grands conflits internationaux.

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