N’y a-t-il vraiment pas d’équivalent à l’aide médicale d’État dans les autres pays européens ?
Autrice : Jeanne Boyer, étudiante en journalisme à l’école W
Relectrice : Clara Robert-Motta, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, journaliste
Source : Compte Facebook, le 22 octobre 2024
Éric Zemmour a déclaré que l’aide médicale d’État (AME) n’existait pas dans les autres pays européens. Que l’AME française ait des spécificités, oui, mais que la France soit le seul pays européen à donner un accès aux soins aux personnes en situation irrégulière et de précarité, c’est faux.
Alors que l’aide médicale d’État est dans le viseur de l’extrême droite et de la droite depuis des années, Éric Zemmour s’est encore prononcé sur le sujet, ce dimanche 20 octobre sur LCI. “Dans les autres pays européens, il n’y a pas d’AME”, a-t-il alors affirmé.
Si ce n’est pas le premier homme politique à déclarer cela — en 2019, Sébastien Chenu avait déjà émis de tels propos repérés par 20 minutes —, ça n’en demeure pas moins une fausse information.
L’aide médicale d’État (AME) est un dispositif français qui permet de faciliter l’accès aux soins aux personnes en situation irrégulière et de précarité avec, notamment, une dispense d’avance de frais. Ce dispositif propre à la France est critiqué par la droite et l’extrême droite.
Mais l’argument massue assurant que la France serait le seul pays européen à prendre en charge des soins de santé pour des personnes en situation irrégulière est faux. Bien que chaque dispositif présente des spécificités nationales, d’autres pays européens disposent de systèmes similaires.
Différents pays européens possèdent des systèmes similaires à l’AME
Selon un rapport de l’agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (UE) de 2015, les personnes en situation irrégulière pouvaient accéder à des soins de santé d’urgence dans tous les pays de l’Union européenne.
En 2015, il n’y avait que neuf pays dans lesquels cet accès était payant. Autrement dit, la France est loin d’être le seul pays à donner accès à des soins d’urgence gratuit à des personnes en situation irrégulière.
“Même si le mot AME n’est pas utilisé par les législations de ces pays, la plupart ont des systèmes proches du nôtre”, explique Patrick Stefanini, auteur d’un rapport de décembre 2023 à la suite d’une mission d’évaluation de l’AME.
Elle n’est pas la seule non plus à proposer des soins dits non urgents à des personnes en situation irrégulière.
C’est ce qu’indique un rapport conjoint de l’inspection générale des finances (IGF) et l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) paru en 2019. Dans les huit pays européens étudiés dans le rapport (la Belgique, l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, la Suisse, la Suède, le Royaume-Uni et le Danemark), un accès pour les personnes en situation irrégulière à des soins non urgents est prévu.
L’Espagne, l’Italie, la Belgique et l’Allemagne proposent, comme en France, un accès gratuit à ces soins non urgents pour les personnes en situation irrégulière. Cependant cette prise en charge n’est pas inconditionnelle : comme c’est le cas en France, l’Italie et la Belgique conditionnent cet accès gratuit à un faible revenu financier. En Espagne, petite exception à la gratuité d’accès : une partie du coût des médicaments doit être prise en charge par les étrangers en situation irrégulière.
Autres différences entre pays : le contenu du panier de soins. Ce qui est compris dans les soins urgents et les soins dits non urgents varient selon les pays mais on observe, selon le rapport de l’IGF et l’IGAS, “un socle commun de couverture” dans ces pays qui inclut “la prise en charge des pathologies nécessitant des soins urgents ou plus largement essentiels”, “la prise en charge des femmes enceintes et des mineurs” et “la prévention des infections”.
La France : le système le plus généreux de tous ?
“Le dispositif français se singularise sur certains points”, est-il affirmé dans le rapport de 2023, qui actualise la comparaison européenne faite par l’IGF et l’IGAS en 2019. Parmi ses particularités : “la liste des exclusions du panier de soins [compris dans l’AME, ndlr] est limitée”. En clair, la France offre la possibilité aux personnes en situation irrégulière d’accéder quasiment aux mêmes soins que les assurés sociaux français. Seules “quatre restrictions symboliques” existent, dont l’accès à la PMA.
Cela fait-il du système français le plus généreux ? Contacté par les Surligneurs, Claude Évin, co-auteur du rapport et ancien ministre de la Santé, préfère rester prudent sur cette affirmation. En effet, le rapport nous rappelle que le « système français est, en partie en raison de son caractère centralisé, le plus cadré et transparent de tous ». Dans la plupart des autres pays, la compétence de santé est confiée aux régions, créant des systèmes nationaux peu uniformes. Ainsi, comme nous l’explique Claude Évin, les spécificités propres à chaque système rendent compliqué toute hiérarchie.
En France, l’AME permet d’accéder à de nombreux soins gratuitement, en comparaison à d’autres pays, comme le Danemark, qui ont un panier de soins gratuits plus limité.
Mais, d’un autre côté, l’AME possède des conditions d’accès plus restrictives que d’autres pays. En effet, une condition de résidence de trois mois sur le territoire français est imposée pour avoir accès à l’AME, ce qui n’est pas le cas dans les autres pays étudiés par le rapport, hormis l’Espagne et la Belgique.
Pour Patrick Stefanini, « l’Espagne est quelque part plus généreuse dans son système que la France ». De fait, l’Espagne est le seul pays étudié par le rapport possédant « un panier de soins identique à celui des résidents légaux ».
Un dernier élément, qui n’est pas des moindres, rend la comparaison compliquée, montre le rapport Evin-Stefanini : “la connaissance assez limitée des pratiques réellement mises en œuvre sur le terrain et des hiatus potentiels entre le droit et la pratique”.
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