Non, les militantes qui ont aspergé le tableau de Monet n’ont pas été relaxées par manque de preuves
Auteur : Etienne Merle, journaliste
Relectrice : Clara Robert-Motta, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Gladys Costes, étudiante en licence de Science politique à Lille
Source : Compte Facebook, le 21 juin 2024
Deux activistes de Riposte alimentaire ont été relaxées par la justice pour avoir jeté de la soupe sur un tableau sous-verre de Monet à Lyon, en février 2024. Sur les réseaux sociaux, certains accusent les magistrats d’avoir rendu une décision idéologique malgré des preuves évidentes. C’est faux.
C’est un jeu auquel chacun aime se prêter. Chaque décision de justice qui concerne un fait d’actualité est scrutée, commentée et parfois dénigrée. Si la justice peut et doit être critiquée, encore faut-il que cela repose sur des bases factuelles suffisantes. Et dans l’affaire qui nous intéresse aujourd’hui, c’est bien là que le bât blesse.
Jet de soupe
Le 11 juin 2024, le tribunal correctionnel de Lyon a rendu sa décision dans l’affaire des deux jeunes activistes qui avaient aspergé un tableau de Monet, exposé aux musées des Beaux-Arts de Lyon, quelques mois plus tôt.
Les deux militantes étaient poursuivies pour « dégradation de biens culturels« . Une infraction définit à l’article 322-3-1 du Code pénal. Filmées pendant leur action coup de poing, elles assurent avoir visé ce tableau en particulier, car il était protégé par une vitre. L’œuvre n’a donc pas été endommagée.
Mais ce qui agace sur les réseaux sociaux, ce sont surtout les motifs de cette relaxe. Une phrase, tirée d’un article du journal régional Le Progrès, a été reprise par tous les médias : “Les juges ont estimé que les éléments constitutifs de l’infraction ne sont pas établis”.
Or, pour certains internautes, cet argument est scandaleux : “C’est vrai qu’avec des photos et vidéos les montrant en pleine action, l’infraction ne peut être établie ! Petit rappel, tout ça se passe à Lyon…Ville écolo !” lance un internaute sur Facebook.
Et dans les commentaires, chacun y va de son accusation. Pour certains, c’est la preuve que les “juges rouges” appartiennent à “un système judiciaire qui n’a de justice que le nom”. D’autres proposent des sanctions qui leur semblent mieux convenir : “La sanction aurait dû être de leur faire lécher la soupe sur tableau et mur”, imagine un internaute.
Matérialité et intentionnalité
Que cela soit écrit, chacun est libre de penser ce qu’il veut de cette non-condamnation. Il n’empêche, la décision des juges n’a rien à voir avec un soi-disant manque de preuves, comme le sous-entendent certains sur les réseaux sociaux.
En réalité, la notion “d’éléments constitutifs de l’infraction non établie”, dans ce dossier, ne concerne pas “les vidéos” et “les photos” de l’action coup de poing des militantes, comme le pensent certains internautes. “Le juge a estimé que, soit l’intentionnalité, soit la matérialité de l’infraction ne pouvait être retenue”, explique Maître Adeline Dubost, l’avocate des deux militantes.
“Dans le premier cas, le juge considère que les militantes ont volontairement visé un tableau protégé et que donc elle n’avait pas essayé de détériorer le tableau. Dans le second, il considère que comme le tableau n’a été touché, l’infraction n’est pas constituée. Mais nous n’en sommes pas sûrs à 100 %”, indique l’avocate.
En effet, pour l’heure, impossible de savoir précisément les motivations des juges. Et pour cause, elles n’ont pas encore été envoyées aux parties. Car si les juges ont obligation de motiver leur décision, le délai pour l’envoi de ce document peut parfois prendre plusieurs mois.
Une chose reste néanmoins certaine, “la justice” elle-même — ou du moins ses représentants — ne sont pas tous d’accord sur cette décision. Le procureur de la République, qui avait demandé une condamnation à deux mois de prison avec sursis en première instance, vient de faire appel, le 24 juin 2024, de la relaxe décidée par les juges. Il y devrait donc y avoir un deuxième procès. Difficile dans ces conditions d’essentialiser le système judiciaire, comme le font quelques internautes.
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