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Vue aérienne des "Horseshoe Falls" à Niagara Falls, au Canada (Thomaswm) CC BY-SA 4.0

Non, les chutes du Niagara ne sont pas devenues rouge sang

Création : 4 août 2025

Autrice : Fanny Velay, étudiante en journalisme à l’École W 

Relecteur : Etienne Merle, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Clarisse Le Naour, double cursus L3 science politique et L3 droit public à l’université Lumière Lyon II

Source : Compte Facebook, le 23 juin 2025

Une image qui semble montrer les chutes du Niagara couleur rouge sang circule sur les réseaux sociaux. Elle est en réalité générée à l’aide d’une intelligence artificielle.

Les chutes du Niagara seraient devenues rouge sang ? C’est du moins l’impression que donne une image qui circule sur les réseaux sociaux depuis plusieurs semaines. On peut y observer les célèbres chutes d’eau, côté Canada, dans la province de l’Ontario, et sa rivière avec une couleur rouge.

Dans certaines publications, l’image est accompagnée d’un récit. Et à l’en croire, « les chutes du Niagara [canadiennes] » seraient devenus « rouge sang ». Le phénomène aurait duré « exactement dix minutes avant que l’eau ne reprenne progressivement son aspect normal » et serait produit le 22 juin 2025, un « dimanche matin très tôt, laissant touristes et habitants sous le choc ».

Toujours selon ces publications, des internautes auraient avancé quelques pistes d’explication à cet étrange changement de couleur. « Un coup publicitaire »  pour les uns ou « une installation artistique qui aurait mal tourné » pour les autres. Certains y verraient même un signe annonciateur de l’apocalypse en 2025.

En réalité, il ne s’agit de rien de tout ça. Ce n’est ni un coup de pub, ni une installation artistique qui a mal tourné et encore moins un signe d’une apocalypse proche. Il s’agit simplement d’une image générée à l’aide d’une intelligence artificielle (IA). Et le récit semble inventé de A à Z, puisqu’aucune preuve ne vient l’étayer.

Aucune preuve

Pour en avoir le cœur net, Les Surligneurs sont partis à la recherche d’éléments pour savoir de quoi il en retourne. Si un tel phénomène a eu lieu dans l’un des endroits les plus touristiques du monde, nul doute que la presse en aurait fait écho. Or, aucun média sérieux n’a relayé une telle information.

Les services de presse de la province de l’Ontario, au Canada, et de l’État de New York, aux États-Unis, où se trouvent les chutes du Niagara, ne mentionnent pas non plus sur leurs sites internet un quelconque changement de couleur de l’eau.

« Nous pouvons confirmer que cet événement n’a pas eu lieu, et que l’image dont vous parlez est très certainement altérée par l’IA ou un logiciel de retouche photo. Aucun événement ou coup de publicité de quelques natures que ce soit n’a été programmé ou planifié le 22 juin 2025. L’image est donc fausse et l’histoire qui l’accompagne a été créée dans le but d’induire les téléspectateurs en erreur. Rien de tout cela n’est vrai », clarifie auprès des Surligneurs l’agence gouvernementale de l’Ontario, Niagara Parks, en charge des parcs riverains et d’attractions le long de la rivière Niagara, du côté du Canada.

De nombreux éléments ne laissent également aucun doute sur le caractère artificiel et inventé de l’image.

Générée à l’aide d’une IA

Pour vérifier l’origine de l’image, Les Surligneurs l’ont soumise à Sightengine, un détecteur d’images générées par IA. Le verdict est sans appel : il y a 99 % de chances qu’elle ait été produite artificiellement.

L’analyse visuelle confirme cette impression. Les chutes du Niagara sont un ensemble de trois chutes d’eau : les « chutes du Fer-à-Cheval », (Horseshoe Falls), ou « chutes canadiennes », situées au Canada, les « chutes américaines », (American Falls), situées aux États-Unis et les « chutes du Voile de la Mariée » (Bridal Veil Falls).

L’IA a ici tenté de reproduire les chutes canadiennes. Mais en comparant avec des photos, une carte satellite ou une Street View, plusieurs incohérences sautent aux yeux.

 

Les Horseshoe Falls, les chutes canadiennes, sont en forme de fer à cheval, d’où leur nom. Elles forment un demi-cercle très marqué. Ici, les chutes paraissent quasiment droites, avec une légère courbe, ce qui ne correspond pas du tout à la topographie réelle.

Second problème, l’île qui sépare les chutes canadiennes des chutes américaines, Goat Island, située juste après les chutes canadiennes, n’apparaît pas. À la pointe ouest de l’île, on retrouve notamment l’un des deux principaux points d’observation, le Terrapin-Tower, depuis lequel on observe les chutes canadiennes.

À la place, une tour qui semble être la Niagara Falls Observation Tower. Sur les images, on constate facilement que cette tour d’observation se trouve après les chutes américaines, côté États-Unis, et non après les chutes canadiennes. Après la tour, une route qui borde la rivière est également visible mais, en réalité, il n’y a pas de route aussi proche de la rivière, puisqu’à cet endroit se trouve l’île, qui surplombe les chutes.

L’île entre les chutes canadiennes et américaines, Goat Island, depuis la Skylon Tower, à Niagara Falls, aux États-Unis (Chris Oakley / CC BY 2.0)

 

Il est difficile de savoir si les chutes du Niagara américaines devraient apparaître sur l’image, étant donné qu’elles sont très proches, mais dans tous les cas, la tour d’observation et la route n’ont rien à faire là.

Le tracé de la rivière ne correspond pas non plus à la réalité. Sur l’image, la rivière serpente. Sur les images satellites, après les chutes canadiennes, le cours d’eau prend un léger virage vers la droite après les chutes canadiennes et descend ensuite en ligne droite.

Des erreurs caractéristiques des images générées par IA, qui reproduisent des éléments réalistes… sans toujours respecter leur agencement exact.

Illumination des chutes

Autre point de confusion possible : les chutes du Niagara sont « colorées » chaque soir grâce à des illuminations, comme l’indique le site Niagara Parks. Il s’agit cependant de projections lumineuses, et non d’une teinte réelle de l’eau.

Par ailleurs, l’image et le récit — écrit en anglais dans un premier temps, traduit ensuite en plusieurs langues, notamment en italien et en français — ont été publiés pour la première fois le 23 juin 2025. Soit, le lendemain du prétendu événement, sur la page Facebook de EndTimes News, un compte qui est suivi par plus de 300 000 personnes et qui semble partager uniquement des photos générées par IA.

Enfin, si le phénomène des « cascades de sang » existe bel et bien— en Antarctique — il ne s’est en aucun cas produit au Canada ou aux États-Unis. Les chutes du Niagara, elles, n’ont rien vu de tel.