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Crédit : Swiss International Air Lines CC0

Non, le récent manque de pilotes en Suisse n’est pas dû à une interdiction du personnel vacciné

Création : 22 mai 2025

Autrice : Fanny Velay, étudiante en journalisme à l’École W

Relecteur : Nicolas Turcev, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Clarisse Le Naour, Double cursus L3 science politique et L3 droit public à l’université Lumière Lyon II

Source : Compte Facebook, le 20 mai 2025

Des internautes affirment à tort que la pénurie de pilotes en Suisse est liée à la mise à l’écart des pilotes vaccinés. Ce manque est en réalité dû au délai causé par la formation des pilotes long-courriers et à une nouvelle convention collective, selon la compagnie aérienne Swiss.

 

Plus de pilotes dans l’avion. La compagnie aérienne nationale suisse, Swiss, a annoncé, le 16 mai 2025, l’annulation de 1 400 vols entre avril et octobre, faute de pilotes disponibles.

Les vols au départ de Kloten, une commune suisse du canton de Zurich, et à destination de Chicago, ont par exemple été réduits de moitié entre le 1er septembre et le 25 octobre 2025. Mais quand certains font une croix sur leurs vacances, d’autres s’inspirent de cette nouvelle pour faire décoller la désinformation.

Selon certains internautes, les pilotes seraient tombés malades à cause des vaccins, et les compagnies aériennes interdiraient désormais les pilotes vaccinés.

« Rendez-vous compte que cela n’intéresse nullement les médias ! Ils risqueraient de faire comprendre à leurs lecteurs que c’est depuis les poisons-vaccins… », s’exprime un utilisateur sur X, dans une publication cumulant plus de 50 000 vues. Il ajoute qu’« un nombre inhabituellement élevé d’employés du cockpit sont actuellement malades ou incapables de travailler pendant une période prolongée ». Un autre internaute écrit sur Facebook que « la pénurie de pilotes a été générée par les vax (sic) ARN, puisque certains n’autorisent plus les pilotes vaxxinés (sic) ».

Les Surligneurs n’ont pas trouvé la moindre trace d’une telle mesure sur le site de Swiss ou d’autres compagnies aériennes. Rien de surprenant, car le manque de pilotes est en réalité dû au temps de formation des pilotes long-courriers – les vols de plus de six heures – et, dans le cas de Swiss, à une nouvelle convention collective adoptée en 2023, selon l’entreprise.

Au moins deux ans

« Chez Swiss, nous n’avons jamais été confrontés à de telles spéculations [liées aux vaccins] et pouvons seulement affirmer que cela ne s’applique pas à notre entreprise, déclare le porte-parole de Swiss, Michel Pelzer, aux Surligneurs. Les récentes annulations de vols chez Swiss sont dues aux difficultés actuelles de planification des pilotes. »

Il faut d’abord comprendre que le trafic aérien s’est beaucoup développé ces dernières années. « Après la pandémie, Swiss était 20% plus petite [que maintenant] », indique Oliver Buchhofer, directeur des opérations chez Swiss, au quotidien suisse 24 heures. Et il se trouve que ça prend du temps de former des pilotes de ligne. Il faut deux ans pour préparer le diplôme d’élève pilote de ligne de l’École nationale de l’aviation civile (Énac), peut-on lire sur l’Onisep.

Depuis la crise du Covid-19

La pénurie de pilotes n’est pas nouvelle. Cette dernière a commencé dès la reprise des vols long-courriers après la crise du Covid-19. Aujourd’hui encore, l’impact de la pandémie sur les compagnies aériennes se fait ressentir, comme en témoigne Michel Pelzer.

« La formation des nouveaux pilotes a été suspendue pendant une longue période et n’a repris qu’en 2023. Parallèlement, de nombreux pilotes ont opté pour une retraite anticipée pendant cette période. La formation des nouveaux pilotes dure environ deux ans et le nombre de places disponibles est limité. »

À titre d’exemple, à Toulouse, seulement vingt-trois élèves sortent chaque année de l’École nationale de l’aviation civile (Enac), pour 1 200 candidats.

Le porte-parole de Swiss affirme aux Surligneurs que la compagnie forme actuellement autant de pilotes que possible, « en fonction des capacités disponibles en simulateurs et en instructeurs ».

Mais la pénurie de pilotes n’est pas seulement due à leur temps de formation, selon la compagnie nationale suisse.

Nouvelle convention collective

En 2023, une révision de la convention collective de travail (CCT) du personnel navigant de Swiss, vient rebattre les cartes de la politique salariale de l’entreprise.

Le texte fixe le salaire minimum des pilotes à 4 000 francs suisses et améliore la stabilité, les plans de travail et les congés, qui n’étaient pas toujours planifiables, comme l’explique un membre du comité de Kapers, syndicat du personnel de cabine, dans un reportage de la Radio Télévision Suisse d’octobre 2023.

Or, « la croissance prévue est difficile compte tenu de la convention collective actuelle de nos pilotes, confie le porte-parole de Swiss. L’amélioration des conditions de travail, notamment en matière de conciliation entre vie professionnelle et vie privée, a accru la demande globale de pilotes ».

En définitive, plutôt qu’à cause de soi-disant vaccins, Swiss a du mal à recruter des pilotes en raison du développement rapide du transport aérien. Les long-courriers sont les plus touchés à cause du volume de personnel nécessaire.

Quand il faut « cinq équipages, c’est-à-dire dix pilotes, pour prendre les commandes d’un appareil moyen-courrier, il en faut vingt et un à vingt-quatre pour un long-courrier », selon les chiffres donnés par le directeur général adjoint des opérations aériennes d’Air France, Alexandre Blanc, au journal Le Monde.

D’ici vingt ans, il faudra recruter 500 000 à 600 000 pilotes, selon l’Association internationale du transport aérien (IATA), pour être aux commandes des 48 575 avions dans le ciel, le double d’aujourd’hui.