Non, il n’y a pas de pénurie d’hommes… ils sont même plus nombreux que les femmes
Dernière modification : 19 mai 2024
Autrice : Maylis Ygrand, étudiante à l’École Publique de Journalisme de Tours
Relecteur : Etienne Merle, journaliste
Relectrice : Clara Robert-Motta, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand
Source : Compte Instagram, 13 mai 2024
Alerte : une pénurie d’hommes est en cours. C’est en tout cas ce qu’affirme avec conviction une publication aux relents sexistes et psychophobes. Au-delà des conclusions de l’internaute, les chiffres utilisés ont été inventés de toute pièce. Que l’on se rassure, les hommes ont encore de belles années devant eux.
C’est un internaute pour le moins inquiet : la gent masculine serait “en voie de disparition”, selon un post publié sur Instagram le 13 mai 2024. Surprenant ? Peut-être, mais à l’en croire, sa source a tout ce qu’il y a de plus sérieux : l’Organisation des Nations Unies, rien que ça.
Ainsi, selon cette publication, cette “pénurie d’hommes” serait causée par de multiples facteurs. Le premier d’entre eux : la part, très faible, de ces messieurs dans la population mondiale. Sur les “7,8 milliards de personnes sur la planète”, seuls “2,2 milliards sont des hommes”, à en croire l’internaute.
Plus grave encore, selon la publication, seule la moitié de ces hommes seraient “disponibles”, puisqu’un milliard d’entre eux serait déjà marié à travers le monde. Admettons… mais ce n’est pas fini. Au sein de ce milliard d’hommes “restant”, une large part d’entre eux ne seraient pas non plus “disponibles”. La publication évoque d’autres chiffres : “2 % sont des prêtres catholiques” et “9% ont des problèmes d’érection”, “50 % sont sans emploi”… Diable ! Quels hommes reste-t-il alors “pour le mariage” et faire des enfants ?
“Ainsi, les femmes mariées et les célibataires doivent traiter les hommes avec respect”, conclut le post. Pour être franc, à ce stade, Les Surligneurs se sont demandés si notre internaute ne nous jouait pas une petite farce. Mais faute d’indication permettant de l’affirmer clairement et au vu du nombre de commentaires prenant toutes ces affirmations comme des faits, nous avons mis la main à la pâte.
Cette fausse information ne date pas d’hier
Ce post en français n’est en réalité qu’une traduction d’une publication, d’abord publiée sur Facebook et Twitter (actuellement X) en anglais, et très partagée en 2019, notamment dans plusieurs pays africains comme l’ont noté nos confrères de l’AFP Factuel à l’époque. Le post de 2019 était accompagné d’une photo d’un supposé journal papier. On y lisait les fameuses statistiques repartagées sur notre publication Instagram en 2024, ainsi que des infographies pour le moins douteuses et grossières.
Pour prouver la véracité de ces chiffres, les internautes assuraient s’appuyer sur un « First Quarter Demographic Report 2019 » des Nations Unies. Notre internaute de 2024 dit s’appuyer sur une source similaire mais mise à jour : « le rapport démographique du 1er trimestre 2023« . Problème, l’organisation internationale a déjà démenti avoir publié ce genre d’étude, et précise que les Nations Unies publient des rapports sur la population tous les 3-4 ans. Il n’existe pas de rapport démographique trimestriel : c’est tout simplement une invention.
Mais alors quelles sont les véritables statistiques des Nations Unies, si chères au cœur de nos internautes ? Leurs chiffres indiquent que nous sommes 8,12 milliards d’individus en 2024 dans le monde.
Et là-dedans, où sont les hommes ? Ou plutôt, combien sont-ils ? Selon le dernier rapport officiel des Nations Unis qui date de 2022, les hommes ne sont pas en déclin, c’est même plutôt l’inverse. Le monde compte légèrement plus d’hommes (50,3%) que de femmes (49,7%) en 2022.
In fine, 4,08 milliards d’hommes peuplent la Terre. C’est deux fois plus que ce qui est avancé sur la publication Instagram. Nous l’avons échappé belle !
Les troubles de l’érection ne menacent pas la survie de l’humanité
Avant de se pencher sur les données lancées par ces internautes, Les Surligneurs tiennent à remettre un peu d’ordre dans le débat. En quoi le fait que des hommes soient prêtres, en prison, « malades mentaux » (sic) ou à la guerre les rendent moins « disponibles pour le mariage » ? L’entièreté du post utilise des données (fausses, qui plus est) pour justifier des conseils de soumission des femmes envers les hommes.
Mais pour que tout un chacun puisse à nouveau vaquer tranquillement à ses occupations, les Surligneurs se sont également penchés sur la question des chiffres évoqués sur la gent masculine.
Tout d’abord, les troubles de l’érection. Selon le faux article de journal, près d’un homme sur dix serait concerné sur l’ensemble de la planète (9%). Les Surligneurs ont plongé dans la documentation scientifique à ce sujet et le résultat est quelque peu décevant. Seule une étude de 1999 propose une estimation. À l’époque, les chercheurs tablaient sur une forte augmentation du phénomène avec 322 millions de personnes en 2025, soit près de 8% de la population mondiale masculine.
Le phénomène est particulièrement difficile à mesurer étant donné la diversité de problèmes que peuvent recouper les troubles de l’érection. Ceci dit, il faut rappeler que les dysfonctionnements sexuels masculins ne sont responsables d’infertilité de couple que dans 5 % des cas environ. Les problèmes d’infertilité n’ont donc que peu à voir avec les troubles de l’érection.
Des prêtres, loin d’être en surnombre
Maintenant que nous sommes rassurés sur le potentiel d’érectilité des hommes, encore faut-il qu’ils ne s’abstiennent pas de faire des enfants. Et c’est une autre inquiétude de notre internaute. Selon lui : “2% sont des prêtres catholiques”. C’est faux.
Selon les chiffres de l’Agence Fides, l’organe d’information des œuvres pontificales missionnaires, au 31 décembre 2021, les prêtres étaient au nombre très précis de 407 872 dans le monde, soit près de 0.0001% de la population masculine mondiale.
D’ailleurs, toujours selon l’Agence Fides, depuis 2015, les prêtres sont de moins en moins nombreux. Avec néanmoins un léger sursaut en 2019. Mais toujours clairement pas de quoi changer le cycle de la natalité mondiale.
Enfin, au-delà des prêtres catholiques et des personnes souffrant de troubles d’érection, les hommes en âge de procréer sont-ils capables de subvenir aux besoins de leurs potentielles progénitures ? Car d’après l’internaute, 50 % d’entre eux sont “sans emploi”.
Laissons de côté la logique pour le moins curieuse de ce raisonnement pour nous concentrer sur les faits. Combien d’hommes sont sans emploi dans le monde ? Là encore, la documentation manque à ce sujet. Seul l’Observatoire de l’Organisation internationale du travail propose une estimation. Le déficit d’emplois dans le monde concernerait, en 2023, 453 millions de personnes… hommes et femmes confondus. Autrement dit, même si ces personnes sans emploi étaient toutes des hommes, on resterait très loin des 50 % avancés par l’internaute (ce serait de l’ordre de 10%).
Nous pouvons donc dormir sur nos deux oreilles, l’homme fécond et solvable n’est pas à ajouter aux espèces en voie de disparition.
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