Non, en 1889, ce naturaliste n’avait pas “prouvé” que les vaccins étaient dangereux et inutiles

Création : 27 août 2024

Auteur : Clément François, journaliste

Relectrice : Clara Robert-Motta, journaliste 

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Etienne Merle, journaliste

Source : Compte Facebook, le 18 février 2024

Sur Facebook, un internaute affirme qu’en 1889, un scientifique très reconnu, aurait démontré dans un livre l’inefficacité des vaccins. En réalité, les données utilisées dans l’ouvrage ne sont pas fiables.

Ce ne pourrait être une meilleure preuve que le débat est loin d’être neuf. Une publication populaire reprend, couverture à l’appui, des arguments contre la vaccination. Le titre est on ne peut plus clair “Quarante-cinq ans de statistiques qui prouvent que la vaccination est à la fois inutile et dangereuse” et est accompagné d’un pamphlet copié-collé entre Facebook et Linkedin. “Il montre l’état de santé des personnes vaccinées […] de très mauvaises nouvelles pour les personnes vaccinées. Elles mouraient davantage d’autres maladies […] à cause de l’affaiblissement de leur état de santé globale, dû aux vaccins, raconte le post avant d’asséner le coup fatal : “Ce sujet a été abordé il y a 128 ans.”

Outre le fait d’utiliser un argument d’ancienneté n’a rien d’une preuve, Les Surligneurs ont décidé de rembobiner le film quelques instants pour se pencher sur cette figure scientifique utilisée contre la vaccination. 

Ce livre existe bel et bien et a été publié pour la première fois en 1885 avant d’être réédité en 1889. Destiné aux parlementaires, ce qui était à l’origine une lettre a été écrit par un certain Alfred Russel Wallace. 

Un scientifique sérieux ? 

L’homme né au Pays de Galles n’est pas du tout un charlatan et s’est fait connaître en participant (ou en inspirant) à la découverte de la théorie de l’évolution de Charles Darwin. Wallace est donc un scientifique d’envergure et reconnu, qui va s’intéresser à la vaccination dans les années 1880. 

En Angleterre, la vaccination est obligatoire depuis 1840, ce qui crée beaucoup de débats. Wallace, le naturaliste darwinien de la première heure, émet des “doutes sur les statistiques trop favorables que les partisans de la vaccine brandissent chaque fois qu’ils sont poussés dans leurs retranchements”, écrivent Françoise Salvadori et Laurent-Henri Vignaud dans leur livre Antivax : de la résistance aux vaccins du XVIIIe siècle à nos jours

Alfred Wallace compile des données statistiques, et en conclusion de son ouvrage, il affirme que la vaccine ne réduit pas le nombre de décès de la variole, que la procédure de vaccination est parfois mortelle, et que les études statistiques des “pro-vaccins” sont fausses. 

Des données extrêmement parcellaires

Mais que valent ces conclusions ? Il est évident qu’aujourd’hui, les conditions ne sont pas du tout les mêmes et que ce ne peut être un argument pour ou contre la vaccination en général. Mais même à l’époque, ces résultats ont été remis en cause. 

Les données épidémiologiques sur le statut vaccinal étaient très incomplètes. Selon l’échantillon, le statut vaccinal de 30 à 70 % des personnes décédées de la variole était inconnu”, écrit Thomas Weber, un biologiste qui s’est penché sur cette figure scientifique dans un article en 2010 dans le journal, Emerging Infectious Diseases

Une marge d’erreur importante, qui rend difficilement crédibles les conclusions d’Alfred Wallace et leur interprétation en faveur ou en défaveur du vaccin : “L’approche statistique du débat sur la vaccination utilisée par Wallace et ses adversaires ne pouvait tout simplement pas résoudre la question de l’efficacité du vaccin ; ainsi, chaque camp était libre de choisir l’interprétation qui convenait le mieux à ses besoins”, tranche le biologiste. 

Une vision hygiéniste old school

Si Alfred Wallace était si prompt à voir dans ces statistiques une preuve que la vaccination ne marchait pas, cela devait au fait qu’il était persuadé que l’amélioration de l’hygiène était la cause principale du déclin de la variole, et non la vaccination. 

Le naturaliste du XIXe siècle n’était pas le seul en Angleterre à se prononcer contre la vaccination. “Ces auteurs prisonniers d’un paradigme hygiéniste refusent de voir la révolution qui vient à savoir la nouvelle théorie des germes élaborée par Koch et Pasteur”, analysent Françoise Salvadori et Laurent-Henri Vignaud.

Partisan de la théorie panspermiste [ancienne théorie selon laquelle la vie est partout présente sur la terre sous la forme de germes qui se développent lorsque les conditions deviennent favorables, définition CNRTL], Wallace s’était engagé pour la cause anti-vaccination aussi à cause de ses idées politiques. Au milieu du XIXe, l’anti vaccination est une des luttes d’une partie du mouvement ouvriériste et socialiste anglo-saxon, notamment à cause des conditions dans lesquelles elle était réalisée.

“Un système de santé et de justice injuste”

La législation victorienne sur la vaccination faisait partie d’un système de santé et de justice injuste, entièrement fondé sur les classes sociales, coercitif et disciplinaire”, critique Thomas Weber en 2010. L’obligation vaccinale de 1840 instaure l’utilisation de la vaccine (utilisation du virus du cowpox) plutôt que la variolisation plus dangereuse, et en 1853, elle s’assortit de sanctions en cas de non-respect des règles. 

Le système dans lequel ces mesures ont été prises était inégal comme le raconte Thomas Weber. “Les personnes pauvres et appartenant à la classe ouvrière étaient soumises à la pleine force de la loi, tandis que les personnes plus aisées recevaient des vaccins plus sûrs et pouvaient facilement échapper à la sanction si elles ne se conformaient pas à la loi.” 

Même si ses statistiques ne prouvaient pas que la vaccination était “dangereuse et inefficace”, toujours est-il que les publications d’Alfred Wallace vont déclencher une commission d’enquête royale. Cette dernière débouche sur la création de clauses de consciences dès 1898, exemptant 200 000 personnes par an de la vaccination, mais obligeant aussi les médecins à mettre en place de meilleures conditions de vaccination pour les populations précaires. 

Même si aujourd’hui des inégalités persistent dans l’accès à la vaccination, les conditions et techniques n’ont plus rien à voir avec ces débuts de la vaccination.

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