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Une gravure illustrant une cérémonie présumée de la constatation du décès du pape Léon XIII, qui a fait la une du journal Le Petit Parisien le 2 août 1903. Crédit : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Le corps du pape est-il vraiment frappé avec un marteau d’argent pour confirmer sa mort ?

Création : 25 avril 2025

Auteur : Nicolas Turcev, journaliste

Relectrice : Clara Robert-Motta, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Fanny Velay, étudiante en journalisme à l’École W

Source : Compte Facebook, le 21 avril 2025

D’après plusieurs internautes, la tradition voudrait qu’au moment du décès du souverain pontife, son front soit frappé trois fois avec un marteau d’argent. Si cette pratique a peut-être pu exister à une époque, aucun élément ne permet d’affirmer qu’elle est en vigueur aujourd’hui.

Trois petits coups et puis s’en va. Depuis le décès du pape François, le 21 avril 2025, une bien étrange rumeur refait surface : le trépas du souverain pontife serait confirmé par un rituel lors duquel le camerlingue, son bras droit, frapperait délicatement le front du mort à trois reprises en appelant son nom. S’il n’y a pas de réponse, alors la mort du pape est officiellement déclarée, selon la rumeur, abondamment relayée sur les réseaux sociaux.

Officiellement, la mort du pape François, causée par une attaque cardiaque, a été confirmée par un électrocardiogramme, selon l’attestation de décès rédigée par le docteur Andrea Arcangeli, le directeur des services de santé du Vatican. La mort du pape Jean-Paul II, le 2 avril 2005, avait été constatée de la même manière. Outre ces méthodes contemporaines, rien n’exclut, a priori, qu’il puisse aussi exister une cérémonie traditionnelle pour confirmer le décès de l’évêque de Rome.

À ceci près qu’il n’existe aucun élément, dans les comptes-rendus de la mort du pape argentin, qui permette d’affirmer la tenue d’un tel rituel avec un marteau d’argent. L’organe de communication officiel de la cité-État n’en fait pas mention sur X, et l’on n’en trouve pas plus la trace dans les communiqués de presse du Saint-Siège.

L’Universi Dominici regis, le document, promulgué par Jean-Paul II, qui définit la marche à suivre en cas de décès du pape, ne mentionne d’ailleurs pas cette cérémonie. « Dès qu’il a reçu la nouvelle de la mort du Souverain Pontife, le Camerlingue de la Sainte Église Romaine doit constater officiellement la mort du Pontife », se contente d’indiquer le texte, sans plus de précisions.

Pas de marteau à l’horizon non plus « dans les ouvrages médiévaux qui précisent le rituel funéraire, qui d’ailleurs ne datent que de la seconde moitié du XIVe siècle », souligne l’historien Thomas Tanase, auteur d’une Histoire de la papauté en Occident (Gallimard, 2019).

Pourtant, l’un des marteaux ayant supposément servi lors de ces rituels est exposé aux Musées du Vatican. Daté du milieu du XXe siècle, cet instrument aurait été utilisé lors du décès de Jean XXIII (pape de 1958 à 1963), comme l’affirme également l’agence Catholic News Agency. Contactée, l’association en charge de la préservation du patrimoine du Saint-Siège n’avait pas pu fournir de preuve de son utilisation au moment de la publication.

La fausse nouvelle du Petit Parisien

Alors, le rituel du marteau, mythe ou réalité ? Tous les historiens interrogés par Les Surligneurs s’accordent sur un point : réelle ou supposée, sa pratique n’existe plus aujourd’hui. Jointe par Les Surligneurs, la représentation diplomatique du Saint-Siège en France, la nonciature apostolique, est aussi de cet avis.

« Cette pratique n’est plus nécessaire depuis longtemps, même si beaucoup pensent qu’elle est encore utilisée », confirme l’institution, qui précise ne pas avoir pu consulter les archives du Vatican avant de formuler sa réponse.

En revanche, l’existence du rituel au marteau d’argent au cours des siècles précédents fait l’objet de débats. La nonciature apostolique de France, sur la foi du travail des « certains historiens », déclare qu’il « semblerait » que la cérémonie ait servi à « dissiper tout doute sur [la] mort [du pape] et distinguer son état d’une mort apparente ».

Ce processus de « vérification » peut paraître crédible du fait que « la peur d’être enterré vivant commence à apparaître parmi la population à partir du milieu du XVIIIe siècle avec la baisse de la pratique religieuse » remarque l’historien Xavier Maréchaux, professeur à l’université de New York-Old Westbury et auteur d’un livre sur le pape Pie VII.

Du XVIIIe au XXe siècle, « les critères empiriques pour certifier la mort étaient douteux, se reposant plus sur le folklore, les racontars et la superstition que sur l’expertise médicale », donnant parfois lieu à des « enterrements prématurés », explique la chercheuse états-unienne Leslie M. Whetstine, spécialiste de la mort clinique, dans un article consacré à l’histoire de la définition de la mort.

La technique du marteau aurait-elle pu servir, ces trois derniers siècles, à éviter d’enterrer un pape vivant ? D’anciens récits de ce rituel existent. À la mort du pape Léon XIII, à l’été 1903, une gravure du journal Le Petit Parisien montre le corps de l’évêque de Rome gisant dans son lit, entouré de ses cardinaux. L’un d’eux tient un petit objet métallique près du visage du souverain pontife.

Une gravure représentant le corps de l’évêque de Rome dans son lit, entouré de ses cardinaux, dont l’un d’eux tient un petit objet métallique près du visage du souverain pontife, fait la une du journal Le Petit Parisien, le 2 août 1903 (Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France)

 

« La mort du pape a donné lieu à une cérémonie d’un caractère tout à fait particulier et qui est véritablement étrange, écrit le journal. […] [L’un des cardinaux] s’est approché du lit et, avec un petit marteau d’argent, a frappé trois fois le front du mort, en même temps qu’il l’appelait par son nom de baptême […]. »

Mais un démenti est rapidement apporté par un proche du pape décédé. L’un des plus hauts dignitaires du Vatican de l’époque, le Britannique Hartwell de la Garde Grissell, a consigné dans un livre les instants qui ont suivi la mort de Léon XIII. « Il peut être mentionné ici qu’aucune cérémonie consistant à frapper le front du pape mort avec un marteau d’argent n’a eu lieu, et que la méthode pour prononcer son nom à voix haute n’est pas strictement déterminée, mais est laissée à la discrétion du cardinal camerlingue », écrit le religieux.

Le « marteau fatidique » aurait frappé Pie IX

Pour autant, son témoignage n’exclut pas une existence antérieure du rite au marteau d’argent. « Le dernier à y avoir eu droit est le pape Pie IX [le prédécesseur de Léon XIII, mort en 1878, ndlr], puis il est tombé en désuétude », soutient l’historien Martin Dumont, auteur de La France dans la pensée des papes (Cerf, 2018). La nonciature apostolique de France déclare, elle aussi, qu’il « semble » que le rituel ait été interrompu après Pie IX.

Une biographie contemporaine du pape Léon XIII qui relate la mort de Pie IX, rédigée par un ecclésiastique de la maison pontificale, mentionne en effet « les trois coups du marteau fatidique ». En tant que camerlingue de Pie IX, Joachim Pecci, le nom de baptême de Léon XIII, est supposément celui qui a accompli le rituel.

L’historien Hervé Yannou, auteur de la miscellanée – recueil d’écrits divers, souvent littéraires ou scientifiques – Le Vatican Codes secrets (Les Alde Nouvelles, 2025), pointe vers une gravure d’époque censée immortaliser ce moment, sans que Les Surligneurs aient été en mesure d’en confirmer indépendamment la date et l’authenticité. Une autre gravure, publiée dans le numéro du 16 février 1878 du magazine français L’Illustration, dépeint également la scène. Elle est accompagnée d’un texte qui décrit le rituel au marteau d’argent.

Une gravure publiée dans le numéro du 16 février 1878 du magazine français L’Illustration dépeint aussi la scène (Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France)

 

Outre le cas particulier de Pie IX, « des historiens italiens des plus sérieux semblent valider l’existence, un temps au moins, de cette pratique », assure Martin Dumont. L’historien médiéviste italien Agostino Paravicini Bagliani, grand spécialiste de la papauté, atteste de la cérémonie du marteau d’argent dans un article paru en 2004 dans la revue L’Histoire.

Peut-on dater son origine ? « On n’a aucune certitude sur le moment historique exact où ce rite a commencé à être pratiqué [puisqu’il] n’a jamais été codifié », explique Martin Dumont.

Mais pour d’autres historiens, ce flou tendrait plutôt à démontrer que le rite du marteau est un mythe.

Une « fausse affirmation » pour certains historiens

« Il s’agit d’une des fausses affirmations [relatives à la mort du pape] les plus répétées », affirme, dans les colonnes d’USA Today, Ulrich Lehner, professeur de théologie à l’université de Notre Dame, aux États-Unis. « Même des historiens renommés l’ont relayé », ajoute-t-il.

Le spécialiste situe l’origine de ce récit au milieu du XIXe siècle. Il est notamment mentionné dans l’imposante encyclopédie théologique de l’abbé Jean-Paul Migne, parue en 1857, deux ans après qu’on en trouve la première trace dans l’Enciclopedia ecclesiastica du frère Pietro Pianton.

Un autre démenti est apporté par le vaticaniste états-unien John Allen, dans son livre Conclave (non traduit, 2004). D’après l’auteur, en 2003, le maître des célébrations liturgiques pontificales de l’époque, le cardinal Piero Marini, aurait déclaré « qu’aucun marteau [d’argent] n’existe » et que la cérémonie de tapotage du front du pape est « une légende ».

Certains des plus grands spécialistes du Vatican auraient-ils pu se tromper ? « J’aurais tendance à penser qu’il s’agit d’un récit qui s’est développé au XIXe siècle, à la fois par imaginaire médiéval et par imaginaire autour des rites de la papauté, et qui s’est diffusé dans les milieux ecclésiastiques eux-mêmes », soutient l’historien Thomas Tanase. Mais à l’heure actuelle, aucun consensus scientifique ne se dégage quant à l’existence du marteau papal.

Les obsèques du pape François se tiendront le 26 avril 2025, place Saint-Pierre au Vatican. Une cinquantaine de chefs d’État ainsi que des dizaines de milliers de fidèles sont attendus. L’événement sera retransmis en direct sur la chaîne YouTube du Vatican.