Marine Le Pen souhaite “sortir d’un certain nombre d’articles de la Convention européenne des droits de l’homme”
Dernière modification : 24 juin 2022
Auteur : François Lefebvre, master des métiers du politique et de l’action publique territoriale, Sciences Po Saint-Germain-en-Laye
Relectrice : Tania Racho, docteure en droit public, Université Paris-Panthéon-Assas
Source : RTL, Le Grand Jury, 25 octobre 2020
En citant une adoption “à la carte” (ou “opt-out”) qui existe au sein de l’Union européenne et dont bénéficie en effet le Danemark comme elle le rappelle, Marine Le Pen confond Conseil de l’Europe et Union européenne (elle a pourtant été députée européenne). Or ce qui empêche d’expulser de façon systématique les djihadistes ou islamistes, c’est la Convention européenne des droits de l’homme, en particulier l’article 3 qui interdit l’expulsion si la personne en cause risque un traitement inhumain dans son pays d’origine.
La présidente du Rassemblement national (RN), Marine Le Pen, invitée du Grand Jury RTL-LCI-Le Figaro le 25 octobre, a déclaré vouloir un “opt-out” (désengagement partiel) de la France de certains articles de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). Elle souhaite de cette façon être en mesure d’expulser sans restriction les djihadistes condamnés puis libérés en France vers leur pays d’origine.
Or en citant l’exemple du Danemark ou du Royaume-Uni, elle semble d’abord opérer une confusion avec l’Union européenne qui a en effet permis des “opt-out” pour ces pays sur les décisions relevant de l’espace européen de liberté, de sécurité et de justice (ELSJ).
Le système d’opt-out permet à des pays membres de l’Union d’exercer un droit de retrait de certaines politiques de l’Union. Ainsi, le Danemark n’est pas soumis aux décisions relevant de l’ELSJ, qui supprime les contrôles des personnes aux frontières intérieures et développe une politique commune en matière d’asile, d’immigration et de contrôle des frontières extérieures.
Mais l’impossibilité de procéder à des expulsions systématiques découle en réalité de la Convention européenne des droits de l’homme, avec le Conseil de l’Europe , qui réunit quarante-sept États. C’est donc de ce côté qu’il faut tenter l’opt-out, mais ce ne sera pas facile.
L’expulsion systématique de djihadistes ou d’islamistes entre en conflit avec la Convention européenne des droits de l’homme (article 3) qui interdit aux États membres de pratiquer la torture ou des traitements jugés inhumains ou dégradants. La Cour européenne des droits de l’homme a interprété cet article 3 comme interdisant d’expulser une personne vers un pays où elle risque de subir de tels traitements.
Pour parvenir à ses fins, Marine Le Pen devrait donc demander à bénéficier d’une “dérogation” prévue par l’article 15 de la Convention, qui permet de se soustraire aux obligations de la Convention en cas de circonstances exceptionnelles. Toutefois ce même article 15 prévoit qu’il n’existe pas de dérogation possible… à l’article 3. L’opt-out n’est donc pas possible sur l’article 3, or c’est cet article qui empêche les expulsions systématiques, en particulier vers les pays où la personne expulsée risque la torture.
Par ailleurs, s’il a été possible de formuler des réserves à la CEDH au moment de la ratification (comme la France en 1974 avec une réserve au sujet des pleins pouvoirs du président de la République dans le cadre prévu par l’article 16 de notre Constitution), c’est trop tard désormais (article 57 de la CEDH). Une réserve à un traité est le fait pour un État, lorsqu’il le signe, d’exclure ou de modifier l’application de certaines dispositions du traité à son égard.
L’unique solution restante serait alors de dénoncer totalement la CEDH en faisant jouer l’article 58, et provoquer une sortie de la France du Conseil de l’Europe. Une sorte de “Frexit” du Conseil de l’Europe. Puis la France y retournerait, en émettant de nouvelles réserves cette fois sur l’article 3, comme cela a été fait en 1974.
Contactée par Les Surligneurs pour expliquer sa déclaration, Marine le Pen a renvoyé à sa proposition de loi constitutionnelle déposée en avril 2018. Elle y prévoit notamment que « par dérogation aux dispositions de l’article 55, les traités et accords qui portent sur l’une des matières prévues au présent article, ainsi qu’aux garanties juridictionnelles y afférentes, n’ont d’autorité supérieure qu’à l’égard des seules lois qui leur sont antérieures. ». Si la Constitution était modifiée en ce sens, la France sortirait de l’Union européenne, du Conseil de l’Europe et de la plupart de ses engagements internationaux.
Contactée, Marine Le Pen n’a pas répondu à nos sollicitations.
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