Rémi Noyon, CC 2.0

Marine Le Pen souhaite que la France sorte du marché européen de l’électricité

Création : 21 avril 2022
Dernière modification : 24 juin 2022

Autrice : Jessica Airey, master droit de l’Union européenne, Université de Lille

Relecteur : Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au centre de recherches VIP, Université Paris-Saclay

Secrétariat de rédaction : Emma Cacciamani et Loïc Héreng

 

Source : BFMTV, La France dans les yeux, 22 mars 2022, 36’

Le marché européen de l’énergie est réglementé par la législation européenne, qui ne prévoit pas qu’on puisse en sortir. Si malgré tout Marine Le Pen en sort, elle expose la France à des dizaines de millions d’euros de sanctions. Il faudrait sinon convaincre le Parlement européen et une majorité suffisante d’États membres pour modifier cette législation européenne, ce que la candidate n’envisage pas. À moins qu’elle souhaite finalement un “Frexit”.

Pour réduire la hausse des prix de l’électricité, Marine Le Pen, la candidate du Rassemblement national à l’élection présidentielle, propose l’indépendance énergétique de la France en quittant le marché électrique européen. Pour retrouver des prix décents, dit-elle, je veux que nous revenions à des prix réglementés du gaz et de l’électricité au niveau national. Une promesse réaffirmée le 20 avril lors du débat de l’entre-deux tours de l’élection présidentielle, face à Emmanuel Macron. Elle affirme que cela permettra à la France d’éviter les augmentations dues au prix qui est fixé sur les importations, notamment allemandes, de gaz russe.

Si Marine Le Pen devait remporter l’élection présidentielle et tenter ensuite de faire avancer cette proposition de sortie de la France du marché intérieur de l’énergie de l’Union européenne, il y aurait des obstacles juridiques importants. L’intégration du marché de l’énergie est un aspect fondamental de l’Union européenne antérieur même aux fondements de l’Union elle-même, qui remonte à 1957. Il s’agit d’un élément essentiel du marché européen régi par un certain nombre de règlements et d’accords et il est coordonné par l’Agence européenne de coopération des régulateurs de l’énergie.

La marché européen de l’énergie est obligatoire

Le marché intérieur de l’énergie de l’Union est fondé sur le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (articles 114 et 194) adopté en 2007. Plus récemment, le règlement sur le marché intérieur de l’électricité, adopté en 2019 par le Parlement européen et le Conseil – qui réunit les États membres – a modifié les règles afin de garantir son bon fonctionnement et sa compétitivité, mais aussi de soutenir la décarbonation du secteur énergétique de l’Union européenne, en supprimant les obstacles aux échanges transfrontaliers d’électricité et en permettant la transition vers une énergie propre. Le tout en honorant les engagements pris lors de l’Accord de Paris sur le Climat. Mais aucun de ces textes européens ne permet à un État membre de se retirer du marché européen de l’énergie. 

Si elle veut aller au bout, Marine Le Pen pourrait légalement emprunter deux voies : convaincre le Parlement européen et une majorité suffisante d’État de réformer le système existant. Autre possibilité, le retrait français de l’Union européenne, une idée qu’elle a défendue pendant sa campagne de 2017 mais qu’elle a finalement retirée de son programme pour 2022, préférant réformer l’Europe de l’intérieur. La première solution nécessiterait un soutien national de la part du Premier ministre français, ce qui s’avérerait un défi en cas de cohabitation avec un parti rival, sauf si Marine Le Pen remporte une majorité aux élections législatives de juin et peut nommer son propre Premier ministre. Elle aurait également besoin d’un nombre suffisant d’alliés au sein de l’Union européenne pour soutenir la réforme, au-delà des liens qu’elle a déjà cultivés avec Viktor Orban en Hongrie et Mateusz Morawiecki en Pologne.

Enfreindre le droit européen, avec à coup sûr des sanctions financières

Marine Le Pen pourrait également décider d’essayer d’enfreindre le droit européen. La Commission européenne réagirait presque certainement en lançant des procédures d’infraction. La Cour de justice de l’Union européenne pourrait alors intervenir avec pour conséquence ultime des sanctions financières pouvant aller jusqu’à plusieurs dizaines de millions d’euros. Et si le gouvernement refuse de payer, la Commission pourra déduire cette amende des subventions qu’elle verse chaque année à la France.

La réforme de l’énergie a récemment été proposée par la France au niveau de l’Union européenne. Comme l’a souligné Marine Le Pen, la France tire environ 70 % de son électricité du nucléaire, en raison d’une politique de longue date fondée sur la sécurité énergétique. Cette distinction par rapport aux autres États membres de l’Union européenne a inspiré des efforts de réforme ; cependant, les récentes tentatives de la France pour réformer et réguler le marché européen de l’énergie ont toutes été bloquées. 

En octobre 2021, à la suite d’une réunion d’urgence des ministres européens de l’énergie, neuf États membres ont rejeté, sous l’impulsion de l’Allemagne, l’offre de la France de réguler les prix du gaz et de l’électricité en réformant les marchés de gros de l’énergie en Europe. Selon ces neuf pays, la concurrence entre les différentes sources de combustible contribue à l’innovation, à la sécurité de l’approvisionnement et constitue donc un élément clé pour faciliter la transition vers des émissions à faible teneur en carbone, comme le prévoient l’Accord de Paris sur le Climat et le Green Deal – Pacte vert – européen. Marine Le Pen aura donc de grandes difficultés à sortir du marché européen de l’énergie.

Contactée, Marine Le Pen n’a pas répondu à nos sollicitations.

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