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Maladie de Charcot et vaccin anti-Covid : les dessous d’une polémique après la suppression d’un article de France Bleu

Ajaccio, le 5 octobre 2023, lors d'une campagne de vaccination contre le Covid-19. (Photo : Pascal Pochard-Casabianca / AFP)
Création : 28 janvier 2025

Autrice : Clara Robert-Motta, journaliste

Relecteurs : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, université Paris-Saclay

Etienne Merle, journaliste

Le mot des Surligneurs : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, université Paris-Saclay et codirecteur scientifique des Surligneurs

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, journaliste

Un article de France Bleu Pays d’Auvergne sur un lien présumé entre la maladie de Charcot et le vaccin anti-Covid a été publié puis dépublié. Quand plusieurs internautes estiment qu’il s’agit là de censure, le média explique, quant à lui, que ces informations n’avaient pas été vérifiées. Les autorités sanitaires ont confirmé qu’aucun lien n’avait, à ce jour, été établi entre le développement de cette maladie et le vaccin.

« La page est introuvable 🙁 Nous sommes désolés, la page que vous recherchez n’existe pas ou n’est plus disponible à cette adresse. » C’est une dépublication qui a fait grand bruit. Le 30 décembre 2024, des dizaines d’internautes se sont émus de la suppression d’un article publié le matin même par la rédaction de France Bleu Pays d’Auvergne.

Il faut dire que le thème de l’article fait partie des sujets de santé les plus sensibles de ces quatre dernières années : les effets indésirables des vaccins contre le Covid-19. Dans ce cas, il s’agit d’une prétendue « reconnaissance » d’un lien entre le déclenchement de la maladie de Charcot chez une jeune femme et les différentes doses de vaccin anti-Covid qu’elle a reçues.

Pour plusieurs internautes, la raison de cette suppression d’article ne peut être qu’une « censure » qui pourrait venir du média, des plateformes ou même de l’État, racontent certains.

Pourtant, la radio locale aurait plutôt dépublié son papier au motif qu’il y aurait eu un manque de rigueur journalistique. Les autorités sanitaires n’ont en effet pas reconnu de lien entre la maladie de Charcot et le vaccin anti-Covid 19.

Deux interviews et un papier dans les journaux du matin

Dans l’article publié, le matin du 30 décembre 2024 à 5 heures et brusquement supprimé juste avant midi le jour même, ainsi que dans les deux flashs radio du journal de 7h et de 8h de la radio locale, la journaliste de France Bleu donne la parole aux membres d’une association, l’AAVIC Team.

Située dans l’Allier, elle se présente comme une « association de victimes directes et/ou indirectes du Covid-19 ». Le président avait déjà été interviewé par France Bleu Pays d’Auvergne à l’été 2024.

Dans ses productions du 30 décembre 2024, la radio rapporte que la vice-présidente de l’association se serait enfin vue reconnaître un lien entre sa maladie neurodégénérative — la sclérose latérale amyotrophique (SLA) plus connue sous le nom de maladie de Charcot — et le vaccin anti-Covid.

« C’est bien le vaccin anti-Covid qu’elle a reçu en 2021 qui est à l’origine de la maladie de Charcot d’une femme de 35 ans qui vit à Moulins, dans l’Allier. La pharmacovigilance vient de le reconnaître, ouvrant la voie à une indemnisation », débute l’article qui a depuis été supprimé.

Pourquoi une telle suppression ? Contactée, la journaliste en question n’a pas souhaité donner suite. De son côté, la rédaction en chef de France Bleu Pays d’Auvergne justifie le retrait de l’article en raison d’un manque de vérification.

« Notre information n’est pas suffisamment étayée, ce qui ne correspond pas à la politique de certification de Radio France. Nous avons donc choisi de retirer l’article en attendant d’en savoir plus », nous a répondu par mail le rédacteur en chef adjoint de la station.

Face aux réactions sur les réseaux sociaux, la station locale a également publié un article le 31 décembre, pour s’expliquer : « Cet article avait été publié à partir d’informations parcellaires, ayant entraîné une erreur d’interprétation. France Bleu a fait le choix de dépublier l’article afin de ne pas propager de fausses informations sur ce sujet particulièrement sensible. Il ne s’agit en aucun cas de censure, comme cela a pu être évoqué sur les réseaux sociaux, mais d’une rectification. »

Le journal local La Montagne n’a, en revanche, pas pris les mêmes précautions. Dans une double page dans le journal papier et un article sur le site internet, tous deux publiés le 25 janvier, le quotidien affirme, sans contradiction, que la pharmacovigilance aurait reconnu la maladie de Charcot comme un effet secondaire du vaccin anti-Covid.

Alors, qu’en est-il de ce lien supposé entre la maladie de Charcot et le vaccin anti-Covid ? Sur quelles preuves France Bleu puis La Montagne se sont basés pour publier de tels papiers ? Les Surligneurs ont mené l’enquête.

Comment la pharmacovigilance fonctionne en France ?

D’après les membres de l’association d’AAVIC Team, que nous avons pu contacter, la « pharmacovigilance » aurait bel et bien reconnu que la maladie contractée par la jeune femme serait « due au vaccin anti-Covid qu’elle avait reçu ».

Pour bien comprendre, il faut revenir sur le terme de pharmacovigilance. Prévue par l’article L.5121-22 du Code de la santé publique, il s’agit de la surveillance, l’évaluation, la prévention et la gestion du risque des effets secondaires des médicaments autorisés sur le marché. Le système fonctionne en plusieurs strates.

Tous les usagers du système de santé et les professionnels de santé peuvent (et doivent pour les professionnels) déclarer les effets indésirables qu’ils pensent être en lien avec la prise d’un médicament. La déclaration, enregistrée auprès de l’un des 31 centres régionaux de pharmacovigilance en France, se retrouve dans une base de données nationale de pharmacovigilance (BNPV) qui est accessible par les centres régionaux et par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).

Ces déclarations sont analysées par les centres régionaux qui auront la tâche d’évaluer l’imputabilité du médicament dans l’effet indésirable en question « notamment au regard des données déjà connues, du contexte d’utilisation et du profil du patient concerné », précise l’ANSM aux Surligneurs. Si l’analyse montre que les déclarations sont des « signaux potentiels », les centres régionaux les font remonter à l’ANSM.

Une fois les signaux remontés, l’ANSM conduit des analyses et échange avec patients et professionnels, explique l’Agence. « Le cas échéant, l’ANSM met en place les mesures nécessaires destinées à prévenir ou réduire les risques afin d’assurer la sécurité d’emploi des médicaments, en concertation avec les partenaires externes. »

« Les données disponibles n’ont pas montré de lien de causalité »

Qu’en est-il du cas de la jeune femme atteinte de la maladie de Charcot dans l’Allier ? Son père a expliqué le parcours médical de sa fille aux Surligneurs. « Elle a déclaré des premiers signes de sa maladie deux jours après s’être fait vacciner pour la première fois contre le Covid-19, raconte-t-il. Seize mois plus tard, en mai 2022, ma fille a fait une déclaration seule auprès de la pharmacovigilance en appelant un médecin du centre. »

N’ayant pas de retour après cette déclaration auprès de la pharmacovigilance, la jeune femme finit par faire une autre déclaration, mais cette fois-ci accompagnée par une association : Solidekla. Rattachée à un syndicat de soignants opposés aux mesures prises pendant la crise Covid — le Syndicat Liberté Santé (lui-même proche du site Réinfo Covid) —  l’association se propose d’aider à faire des déclarations d’effets indésirables post-vaccins Covid auprès de la pharmacovigilance.

D’après le témoignage du père de la jeune femme, contacté par Les Surligneurs, une personne se présentant comme médecin accompagne la famille pour soumettre une nouvelle déclaration au centre régional de pharmacovigilance de Nice entre décembre 2023 et janvier 2024. Une source interne de la pharmacovigilance confirme aux Surligneurs que deux cas de ce type avaient été saisis dans la base de données par les centres régionaux de pharmacovigilance de Clermont-Ferrand et de Nice.

En juin 2024, la pharmacovigilance rend une fiche. Pour l’association AAVIC Team et la famille de la jeune femme, cette fiche est la preuve qu’il existe une imputabilité entre le vaccin anti-Covid et la maladie de Charcot qu’elle a déclarée. Dans un post Instagram, l’association déclare : « Annonce importante : La pharmacovigilance vient tout juste de valider son dossier, confirmant officiellement le lien entre les injections Pfizer et le développement de sa maladie. »

Le document, que Les Surligneurs se sont procuré et que l’association AAVIC Team a publié (anonymisé) sur les réseaux sociaux, est bel et bien une fiche issue de la base nationale de pharmacovigilance (BNPV). Mais il faut rappeler qu’une inscription dans la base de données ne signifie pas que l’événement indésirable a été jugé « marquant » et n’indique pas non plus qu’il y a un lien de causalité entre l’effet indésirable et le médicament incriminé.

Et dans ce cas, la fiche n’indique pas du tout une imputabilité certaine. Les Surligneurs vous aident à y voir plus clair dans ce jargon médical.

Mauvaise interprétation

Ces fiches de pharmacovigilance se découpent en plusieurs points : les informations du patient, les effets indésirables déclarés, le type de médicament mis en cause, un tableau indiquant l’évaluation de l’imputabilité, puis une description, étape par étape, du cas comme il a été présenté par le patient ou le médecin qui l’a déclaré.

Dans la fiche de la jeune femme, il est donc bien fait état de la chronologie des événements qui lui sont arrivés avec une conclusion factuelle : « Diagnostic de SLA dont les premiers signes se sont manifestés quelques jours après la D2 de Commaty [sic, le nom du vaccin est en réalité Comirnaty] ® ».

Capture d’écran de la fiche de pharmacovigilance de la personne atteinte de la maladie de Charcot

 

Une autre phrase fait dire aux proches de la jeune femme et à leur conseil juridique que la fiche serait la preuve que la maladie est imputable au vaccin.

En commentaire, il est indiqué : « Le pharmacovigilant note : “L’imputabilité retenue en l’espèce est établie selon la méthode française officielle de 1985 publiée par Bégaud et réactualisée par le Cercle de Réflexion sur l’Imputabilité en 2011). Les éventuels scores d’imputabilité qui auront été retenus sont établis sans préjudice des éléments d’investigation qui pourraient être effectués dans le cadre de procédures juridiques ou amiables d’indemnisation.” »

C’est de cette formulation bien difficile à déchiffrer que commence le gros malentendu. Cette phrase, contrairement à ce qu’affirment les associations AAVIC Team et Solidekla, ne signifie aucunement qu’un lien a été établi. Elle indique la méthodologie utilisée pour réaliser les évaluations.

Pour comprendre comment l’imputabilité suspectée a été évaluée, il faut regarder les chiffres des scores inscrits sur le document. Or, ces derniers ne permettent pas de valider une quelconque causalité, comme le précise le directeur d’un centre régional de pharmacovigilance : « Ce score permet d’évaluer l’imputabilité, c’est-à-dire la force de la relation entre un médicament — en l’occurrence un vaccin — et un événement médical indésirable. Ici, au vu des scores établis, on peut dire que l’imputabilité est douteuse, mais ce document n’apporte aucunement une preuve de cause à effet ».

En effet, pour mesurer une éventuelle causalité, les pharmacovigilants regardent plusieurs critères. Le premier est chronologique, inscrit par la mention « C ». Il mesure le temps entre l’administration du médicament et la survenue (puis la régression) de l’effet indésirable suspecté. Le second est sémiologique. Il évalue la présence d’autres causes possibles, non médicamenteuses et les signes et symptômes évocateurs du rôle du médicament ( « S » sur la fiche).

À partir de ces deux critères, on tire une imputabilité intrinsèque (noté « I ») : c’est, en quelque sorte, la note globale qui évalue la relation directe entre un médicament et l’effet secondaire sur le cas spécifique auquel on s’intéresse. Un autre score permet de regarder ce qui a déjà été écrit sur le sujet par d’autres : au vu de la littérature médicale, on tire donc une imputabilité extrinsèque (notée « B » comme bibliographique).

Là encore, les formulations sont techniques, mais le principe est simple : ensemble, ces deux scores permettent de déterminer si un médicament peut être responsable de l’effet déclaré.

Capture d’écran de la fiche de pharmacovigilance de la personne atteinte de la maladie de Charcot

 

Sur la fiche de la jeune femme atteinte de la maladie de Charcot, sur les trois effets indésirables notés, les pharmacologues du CRPV ont attribué les plus basses notes pour « l’atteinte neurologique » et pour la « sclérose latérale amyotrophique » (sauf pour la bibliographie avec un score de 2 pour ce dernier). Seul l’effet « fasciculation » (la contraction soudaine de muscles) a des scores plus importants.

Si l’on en croit la méthode utilisée par la pharmacovigilance, dans ce cas l’imputabilité du vaccin contre le Covid-19 dans la fasciculation (contractions musculaires) est « vraisemblable » (score 3), mais dans l’atteinte neurologique et la SLA, cette imputabilité est « douteuse » (score 1).

Ce document a donc mal été interprété par l’entourage de la jeune femme et l’association qui les a accompagnés.

Après avoir reçu ce document, l’association AAVIC Team prétend sur ses réseaux sociaux que la pharmacovigilance aurait souhaité faire remonter ce dossier aux autorités nationales. « Comme mentionné dans le document officiel : « Nous souhaitons appuyer l’attention de l’ANSM sur les cas de SLA déclarés après vaccination contre la COVID-19 au proposant une cas “MARQUANT” », est-il écrit sur une publication Instagram.

Sauf que cette phrase n’a pas été apposée sur la fiche de la jeune femme ni dans un document officiel. Elle provient d’un mail de l’association Solidekla dans lequel la personne de l’association assure qu’elle a discuté avec une « consœur » du CRPV qui lui aurait assuré vouloir faire remonter le dossier à l’ANSM et proposer un « cas marquant ».

Capture du mail de l’association Solidekla

 

Contactés, ni le centre régional de pharmacovigilance de Nice, ni Solidekla n’ont souhaité nous répondre.

Ainsi, la fiche publiée en ligne par la famille de la jeune femme est donc bel et bien inscrite dans le BNPV mais ne certifie pas d’imputabilité entre le vaccin contre le Covid et la SLA, comme le confirme l’ANSM aux Surligneurs. « À ce jour, les données disponibles en France et en Europe n’ont pas montré de lien de causalité entre la maladie de Charcot ou Sclérose latérale amyotrophique (SLA) et les vaccins contre le Covid-19. Aucun signal de sécurité n’a été identifié sur ce sujet. »

Philippe Couratier, neurologue et chef du Centre de référence national neuropathies périphériques rares à Limoges, confirme, lui aussi, « l’absence totale de preuve » pour imputer la vaccination anti-Covid comme une cause de la SLA. « La raison majeure vient du fait que la SLA se manifeste sur le plan clinique après une longue phase de plusieurs années qui reste silencieuse, mais au cours de laquelle des anomalies histologiques et biologiques interviennent avec une dégénérescence des cellules motrices. »

Pour l’heure, donc, aucun élément ne permet de faire un lien entre la maladie de Charcot et le vaccin. Mais le mal est fait. Les dénégations de la radio locale n’ont pas éteint la polémique, et les milieux anti-vaccins continuent d’y voir une nouvelle preuve de la dangerosité de ce vaccin, alimentant ainsi la méfiance voire la désinformation, et peut-être encore aussi la souffrance légitime de la famille. Celle-ci entend toujours engager des poursuites judiciaires sur la base de ces documents pour faire reconnaître le lien entre le vaccin anti-Covid et la maladie.

 


Le mot des Surligneurs : que dit le droit ?

Si la famille va au Tribunal : le juge, avant éventuellement d’allouer une indemnisation, devra vérifier le lien de causalité entre le vaccin et la maladie survenue. C’est la clé de voûte de son raisonnement. Il s’appuie, aidé par un expert judiciaire, sur ce qu’on appelle les « données acquises de la science », autrement dit l’état de l’art. Cet état de l’art résulte de la littérature scientifique médicale, et résulte du « consensus » médical : une équipe médicale ayant une donnée nouvelle (lors d’un colloque, dans une revue reconnue) qui n’est pas contredite par les autres équipes et qui est même reprise par la communauté médicale. Dans ce cas, cette donnée, qui peut être un nouveau traitement mais aussi un constat d’effet indésirable, est considérée comme acquise.

En somme, face à un contentieux comme celui de la jeune femme, soit ce lien est exclu par le juge guidé par l’expert. Soit ce lien est reconnu formellement, y compris en termes de fortes probabilités. Soit ce lien est scientifiquement trop incertain, et le juge ne peut pas le présumer à partir de simples hypothèses.