(Domaine public)

Licenciements économiques « abusifs » : peuvent-ils être remis en question, comme le propose Fabien Roussel ?

Création : 9 décembre 2024

Auteur : Pascal Caillaud, chargé de recherche CNRS en droit social, université de Nantes

Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, université Paris-Saclay

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, journaliste

Source : Fabien Roussel sur "C à vous", le 25 novembre 2024

Fabien Roussel a rouvert, le 25 novembre dernier, le débat sur les licenciements économiques décidés par des entreprises réalisant des bénéfices ou versant des dividendes. Le communiste reste ambigu quant au chemin à emprunter. Pourtant, entre une interdiction et une soumission à autorisation préalable, la réponse juridique n’est pas la même.

Le débat sur les licenciements économiques, décidés par des entreprises réalisant des bénéfices ou celles recevant des aides publiques, n’est pas nouveau. Récurrent, il avait déjà conduit Les Surligneurs à se pencher sur les propos de Philippe Poutou (NPA) en 2017, Adrien Quatennens (LFI) ou Yves Veyrier (FO) en 2020.

Dans l’émission « C à vous », Fabien Roussel ouvre une nouvelle fois ce débat. Mais ses propos sont ambigus puisqu’il parle d’abord de licenciements qui « ne doivent pas être autorisés » avant d’affirmer qu’ils « doivent être interdits ». Le secrétaire national du Parti communiste vise-t-il à purement et simplement interdire de tels licenciements, ou à les soumettre à autorisation préalable ? La réponse n’est juridiquement pas la même.

Une autorisation administrative qui a déjà existé

Actuellement, les licenciements pour motif économique sont soumis à une procédure impliquant l’administration.

En cas de licenciement de dix salariés et plus sur une période de trente jours (on parle alors de « grands licenciements économiques »), une information et une intervention de l’autorité administrative, en l’occurrence les Directions régionales de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DREETS), sont prévues, avec notamment un contrôle du « Plan de sauvegarde de l’emploi ».

Si la DREETS instruit et autorise le plan de licenciement, elle ne peut toutefois pas se positionner sur la légitimité du motif de licenciement économique, autrement dit la réalité des motifs économiques invoqués pour justifier les licenciements.

Mais les pouvoirs de l’administration n’ont pas toujours été si limités. L’appréciation du motif économique par l’administration avait été mise en place justement pour ces licenciements, en 1975, par Jacques Chirac, alors Premier ministre.

Puis elle a été supprimée par le même Jacques Chirac, redevenu Premier ministre en 1986. Pendant cette période, l’administration vérifiait bien les conditions d’application de la procédure de concertation, la portée des mesures de reclassement et d’indemnisation envisagées, ainsi que la réalité des motifs invoqués pour justifier les licenciements. L’employeur devait obtenir l’autorisation pour licencier, et ne pouvait passer outre le refus de l’administration : il lui fallait contester ce refus devant le juge administratif.

Supprimée en 1986 pour les licenciements économiques, cette autorisation administrative ne subsiste désormais que pour le licenciement des salariés dits « protégés » (candidats lors d’une élection professionnelle, titulaire ou ancien titulaire d’un mandat de représentant du personnel… ) qui nécessite l’accord de l’inspecteur du travail.

Si cette autorisation a pleinement existé entre 1975 et 1986, elle peut donc être réinstaurée. En effet, le droit d’obtenir un emploi, garanti par le Préambule de la Constitution de 1946, et donc, a fortiori, de le conserver pourrait justifier une nouvelle procédure administrative de licenciement pour motif économique.

Une interdiction censurée par le Conseil constitutionnel

La réponse est, par contre, tout autre s’agissant d’une interdiction de ces licenciements pour les entreprises réalisant des bénéfices ou distribuant des dividendes.

Selon le Code du travail, constitue actuellement un licenciement pour motif économique le licenciement « pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail », consécutives notamment « à des difficultés économiques », « à des mutations technologiques », « à une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité » ou « à la cessation d’activité de l’entreprise ».

Or, l’interdiction de ce type de licenciement serait considérée comme une atteinte disproportionnée à la liberté constitutionnelle d’entreprendre. Le Conseil constitutionnel a, ainsi, déjà censuré en 2002 une disposition qui ne permettait aux entreprises de licencier que si leur pérennité était en cause. Les Sages ont ainsi considéré que les contraintes imposées par le législateur constituaient, par leur ampleur, une atteinte manifestement excessive à la liberté d’entreprendre. Et ce, au regard de l’objectif poursuivi du maintien de l’emploi.

 

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