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Fruits tropicaux / Francisco Anzola, CC BY 2.0

Les revêtements alimentaires Apeel pour les fruits et légumes sont-ils dangereux pour la santé ?

Création : 17 juin 2025

Auteur : Nicolas Kirilowits, journaliste

Relectrice : Clara Robert-Motta, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Fanny Velay, étudiante en journalisme à l’École W

Source : Compte Facebook, le 6 juin 2025

Accusée à tort d’être liée à Bill Gates et de commercialiser un produit toxique, l’entreprise Apeel fait l’objet de nombreuses rumeurs. Pourtant, son revêtement alimentaire contient un additif lambda et autorisé par plusieurs autorités sanitaires.

Bien que proche phonétiquement d’une marque célèbre, la société Apeel n’est pas nécessairement la plus connue des consommateurs. Pourtant, ses innovations sont autorisées actuellement dans 65 pays, à travers cinq continents. Son objectif ? Réduire drastiquement le gaspillage alimentaire en utilisant une couche d’additif sur les fruits et légumes afin de les conserver plus longtemps, explique son site Internet.

Ces qualités, que vante Apeel, ne convainc guère tous les utilisateurs sur les réseaux sociaux depuis quelques années, qui estiment que ce revêtement alimentaire serait dangereux… Pour soutenir cette idée, des internautes avancent divers arguments. « Le principal ingrédient présent est traité à l’aide de deux solvants qui sont des produits chimiques dangereux qui endommagent les organes internes », affirme une internaute sur Facebook.

Autant de torts reprochés à l’entreprise qui s’ajoutent à un supposé lien avec le milliardaire Bill Gates, qui « soutiendrait financièrement » cette société ou qui en serait même le fondateur, selon certains.

Ces affirmations ne sont pas nouvelles — on retrouve des articles de fact-check sur ces accusations à l’encontre d’Apeel dès 2023— mais sont revenues en masse début juin 2025 sur plusieurs réseaux sociaux (X, Facebook, Instagram, Telegram) après le post X d’un « influenceur food ». « Apeel, financé par Bill Gates, a été autorisé à être utilisé sur les produits biologiques américains pour leur donner une apparence de fraîcheur. Comment cela peut-il être autorisé dans le cadre des normes biologiques ? », questionne l’homme dans une publication avec plus de 1,4 million de vues sur X, le 31 mai 2025.

Les Surligneurs vous aident à faire le point.

Un additif alimentaire à partir d’huiles végétales comestibles

Apeel Sciences est une entreprise états-unienne qui développe depuis 2012 cette fameuse solution permettant une meilleure conservation des fruits et des légumes, grâce à l’action d’une couche obtenue à l’aide d’additifs alimentaires — les mono et diglycérides gras (E471).

 « Ces ingrédients sont approuvés et bénéficient d’une longue expérience d’utilisation sûre aux États-Unis, dans l’Union européenne et sur des dizaines de marchés à travers le monde », nous indique l’entreprise par mail. Et précise, comme on peut par ailleurs le lire sur son site Internet, que sa pelure est « fabriquée à partir d’huiles végétales comestibles, sans OGM ».

Aussi, conformément aux indications du règlement de l’UE de 2019, la solution Apeel n’est applicable sur le marché européen que pour le « traitement en surface des agrumes, melons, ananas, bananes, papayes, mangues, avocats et grenades ». Néanmoins, « [leurs] produits ne sont actuellement pas commercialisés en France », assure aux Surligneurs la société.

Si l’invention d’Apeel a bien été approuvée par les autorités sanitaires, cela n’empêche pas les consommateurs de s’interroger sur son bienfondé. « La FDA corrompue a approuvé Apeel comme fongicide », entend, par exemple, révéler un internaute sur Facebook.

Aux États-Unis, la marque Apeel propose la solution de revêtement pour les produits conventionnels, Edipeel, depuis 2018, mais également une seconde, dénommée Organipeel, spécifiquement dédiée aux fruits et légumes bio (organic) depuis 2017 — en pause depuis deux ans, selon l’entreprise.

Ce deuxième produit d’Apeel n’est pas composé exactement de la même façon qu’Edipeel : en plus des mono et diglycérides gras, Organipeel comporte de l’acide citrique et du bicarbonate de soude, comme cela est indiqué sur leur site et sur la fiche de l’Agence de Protection Environnementale (EPA) du produit.

Or, l’EPA a classé ce produit dans la catégorie « pesticide ». « Organipeel est répertorié comme fongicide parce qu’il contient de l’acide citrique pour aider à atténuer l’altération des fruits et légumes biologiques due aux champignons », explique Apeel aux Surligneurs.

Sous forme de poudre, l’Organipeel doit être dilué avant de tremper les fruits et légumes dans la solution, explique la notice. Sur celle-ci une précaution d’usage est décrite. « Attention : Provoque une irritation oculaire modérée. Éviter tout contact avec les yeux ou les vêtements. Porter des lunettes de sécurité lors de la manipulation. Se laver soigneusement à l’eau et au savon après manipulation et avant de manger, de boire, de mâcher de la gomme, de fumer ou d’aller aux toilettes. »

Cette notice a largement inquiété les consommateurs, mais il ne s’agit que de la poudre concentrée et pas des fruits et légumes qui auraient été revêtus par Organipeel.

 Deux subventions de la Gates Foundation

Concernant ses liens supposés avec Bill Gates, Apeel explique aux Surligneurs que l’entreprise a bénéficié de « deux subventions de recherche (en 2012 et 2015)  pour un montant total inférieur à 1,1 million de dollars » de la part de la Gates Foundation. Des données corroborées par les informations sur le site même de la fondation. « M. Gates n’a aucune participation, aucun rôle de conseil et n’a jamais occupé de poste au sein de notre organisation », précise Apeel.

Si le produit d’Apeel correspond aujourd’hui aux normes sanitaires européennes, l’exposition à l’additif alimentaire qu’il utilise — comme diverses autres denrées— fait l’objet de questionnements par la recherche scientifique.

Récemment, certains additifs, dont le E471, ont fait l’actualité (Ouest-France, Radio France, Le Monde) après la publication, en février 2014, des résultats d’une étude menée notamment par des chercheurs de l’Inserm et l’INRAE, et basée sur les habitudes alimentaires de plus de 90 000 participants.

Ceux-ci ont révélé « un lien entre l’additif alimentaire E471 et une incidence plus élevée de cancers, maladies cardiovasculaires et diabète de type deux », explique aux Surligneurs Mathilde Touvier, coordinatrice principale de l’étude. « Il n’y avait pas eu jusque-là d’étude chez l’humain investiguant les liens entre une exposition chronique aux émulsifiants (dont E471) et l’incidence de maladies chroniques », détaille-t-elle.

Toutefois, une telle étude permet-elle de conclure que le recours à l’additif E471, comme le fait la société Apeel, est « dangereux » pour la santé ?

Des avis positifs des agences de santé

« Il n’est pas possible, hors expertise collective, de conclure à la dangerosité d’un additif », assure Mathilde Touvier. « D’autres études sont toujours nécessaires, surtout pour comprendre les mécanismes sous-jacents », abonde Bernard Srour, l’un des responsables de la même étude. Les deux chercheurs rappellent, par ailleurs, l’avis positif sur l’utilisation du E471 comme additif alimentaire, émis par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AFSA) en 2017, réévalué en 2021.

Dans ce dernier, l’agence européenne indique notamment « qu’il n’y avait aucune raison de s’inquiéter de la sécurité lorsque le E471 était utilisé comme additif alimentaire ». Même son de cloche pour l’agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux (FDA) qui classe les mono et diglycérides comme « généralement reconnu comme sûr ».

Ce n’est pas la première fois qu’Apeel est la cible de fausses informations. L’AFP écrivait ainsi en 2023 que la composition du produit de la compagnie états-unienne avait été confondue avec un produit de nettoyage britannique. D’autres médias ont également réfuté la supposée dangerosité de l’innovation proposée par la start-up : Reuters, USA Today, PolitiFact, The Associated Press.