Les mesures restrictives : instrument coercitif de la politique européenne
Dernière modification : 21 juin 2022
Autrice : Juliette Dudermel, étudiante en master 2 droit de l’Union européenne à l’Université de Lille, sous la direction de Tania Racho, docteure en droit européen, Université Paris II
Le 5 février 2020, Josep Borrell, chef de la diplomatie européenne, rencontrait Sergueï Lavrov, ministre des affaires étrangères russe. Le même jour, trois diplomates européens étaient expulsés par le Kremlin pour avoir participé à des manifestations en faveur d’Alexeï Navalny, opposant politique au pouvoir russe. C’est dans ce contexte tendu avec Moscou que Josep Borrell souhaite, en vertu de son droit d’initiative (article 30 TUE), proposer aux 27 États membres de l’Union européenne d’émettre des sanctions supplémentaires à l’encontre de la Russie.
L’Union avait déjà pris des mesures à l’encontre de la Russie à la suite de l’annexion illégale de la Crimée en 2014 : 177 personnes avaient été visées par un gel de leurs fonds en Europe. Si, pour Vladimir Poutine, ces “soi-disant sanctions” ont peu d’impact en Russie, ces “mesures restrictives”, selon l’expression européenne, ont eu une réelle influence économique. Elles avaient provoqué une chute de 7 % du rouble face au dollar, un blocage des investisseurs et une fuite des capitaux. Le président russe avait décidé de riposter et de sanctionner l’Union en retour par un embargo alimentaire sur les produits occidentaux.
Les “mesures restrictives”, qu’est-ce que c’est ?
L’Union emploie l’expression “mesures restrictives” pour désigner les sanctions qu’elle adopte. Ces mesures font partie de la politique étrangère et de sécurité commune qui permet aux 27 États membres d’agir ensemble sur la scène internationale (articles 23 et suivants du TUE). Elles sont prévues par le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (article 215 TFUE). Le choix de leur adoption est à la discrétion des États membres réunis au sein du Conseil, qui les adoptent à l’unanimité. Ces mesures ont pour objectif de sanctionner des personnes, des gouvernements, des entités, des groupes ou organisations non membres de l’Union européenne en raison de leur politique ou de leurs actions, lorsqu’elles vont à l’encontre des valeurs, des intérêts fondamentaux ou de la sécurité de l’Union.
Ces sanctions sont apparues à la suite du coup d’État militaire en Pologne et de la guerre des Malouines au début des années 1980. Les États membres de l’Union européenne s’étaient alors concertés pour prendre eux-mêmes des mesures, de façon coordonnée dans le cadre de la Coopération politique européenne. Par la suite, les mesures restrictives ont été incluses dans le traité de Maastricht en 1992 pour les sanctions à l’encontre des États, puis dans le traité de Lisbonne, entré en vigueur en 2009, pour les sanctions à l’encontre des personnes ou d’entités. Dans l’arsenal des sanctions possibles, on trouve le gel de fonds (ou des avoirs), l’embargo sur les armes, ou encore les restrictions à l’entrée sur le territoire de l’Union. Par exemple, suite à des activités turques de forage illégal dans les eaux territoriales chypriotes, l’Union européenne avait adopté des mesures restrictives en empêchant le passage sur son territoire des personnes mêlées à ces activités illégales.
Pourquoi utiliser ce type de sanctions ?
Les mesures restrictives n’ont a priori pas pour objectif de punir, mais plutôt d’induire un changement de comportement. Les gels de fonds, en particulier s’ils sont pris à l’encontre d’organisations terroristes, sont censés permettre à l’Union de neutraliser les flux financiers des personnes en cause, et concrètement bloquer leur compte en banque. Ainsi, nombreux sont ceux qui peuvent être visés par des sanctions : proches de gouvernements, organisations terroristes, banques ou encore entreprises jugées “complices”.
Une carte des sanctions est disponible sur le site EU sanctions map, permettant de visualiser les pays qui sont ciblés et le nombre de sanctions en cours. Le grand nombre de ces mesures ne doit pas faire oublier que celles-ci restent parfois difficiles à adopter en raison de l’exigence d’unanimité. Chypre avait par exemple bloqué le vote de sanctions à l’encontre de la Biélorussie en octobre 2020, dans l’objectif d’être entendu au sujet de sanctions contre la Turquie.
Des sanctions sous contrôle
Les personnes et entités faisant l’objet de ces mesures peuvent les contester devant la Cour de justice de l’Union européenne (articles 263 et 275 TFUE). Ce fut le cas de membres de la famille de l’ancien président égyptien Hosni Moubarak, visées par des sanctions financières européennes après l’ouverture d’une enquête en Égypte pour détournement de fonds publics. La famille de l’ancien raïs reprochait à l’Union de ne pas avoir vérifié que les enquêtes dont elle faisait l’objet en Égypte avaient respecté les droits de la défense. La Cour lui a donné raison et a annulé les sanctions.
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