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Bruno Retailleau. Image libre de droit.

Les juges doivent-ils être neutres en échange de leur indépendance, comme l’affirme Bruno Retailleau ?

Création : 7 avril 2025
Dernière modification : 8 avril 2025

Auteur : Estelle Lanselle, master Droit international et droit européen, université de Lille

Relecteur : Guillaume Baticle, doctorant en droit public, université de Poitiers

Etienne Merle, journaliste 

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun.

Secrétariat de rédaction : Etienne Merle, journaliste

 

Source : Emission L'évènement sur France 2, le 3 avril 2025

L’indépendance de la justice constitue un principe essentiel dans un État de droit puisqu’elle découle de la séparation des pouvoirs. Ainsi, la neutralité n’est pas une contrepartie, mais une conséquence directe de l’indépendance des juges.

Depuis la condamnation de Marine Le Pen, le fonctionnement de la justice est visé par d’intenses critiques sur sa prétendue partialité.  Le 3 avril dernier, lors de l’émission L’Événement diffusée sur France 2, le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, a affirmé que « la contrepartie de l’indépendance des juges est leur neutralité ».

Cette intervention fait suite à la condamnation de Marine Le Pen à quatre ans de prison ferme, 100 000 euros d’amende et cinq ans d’inéligibilité. Mais la formulation employée par le ministre pose un problème : en réalité, la neutralité n’est pas une contrepartie négociée ou exigée — elle est une conséquence directe de l’indépendance des juges.

Un fondement de l’État de droit

Pour qu’un procès soit équitable, la justice doit pouvoir exercer sa mission sans subir d’influence ou de pression extérieure. Ce principe est inscrit dans l’article 64 de la Constitution, qui confie au président de la République le rôle « de garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire ».

On retrouve cette exigence au niveau européen, à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme, qui affirme : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial. » Cette indépendance garantit aux juges la possibilité de statuer en toute impartialité, à l’abri des pressions.

Elle découle du principe fondamental de la séparation des pouvoirs, formulé par Montesquieu et affirmé à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789. Ce principe vise à maintenir l’équilibre entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, et à empêcher qu’ils n’outrepassent leurs compétences respectives.

Autrement dit, pour éviter toute dérive autoritaire, la justice doit être indépendante non seulement du Parlement, mais aussi du gouvernement. Sans cette séparation, les ministres pourraient orienter les décisions des juges selon des intérêts politiques. L’indépendance judiciaire n’est donc ni symbolique ni facultative : elle est indispensable pour garantir une justice équitable dans un État de droit.

Neutralité des juges : une conséquence, pas une condition

Présenter la neutralité judiciaire comme une « contrepartie » revient à dire que les juges ne seraient neutres que s’ils reçoivent en échange une indépendance institutionnelle. C’est une vision erronée juridiquement. En réalité, c’est parce qu’ils sont indépendants que les juges peuvent être neutres dans leurs décisions.

Cette indépendance – et donc cette neutralité – est encadrée par la loi organique de 1958 relative au statut de la magistrature. Elle définit les obligations déontologiques des magistrats, notamment l’interdiction de participer à des délibérations politiques ou d’exprimer publiquement des opinions partisanes.

Toutefois, cette même loi autorise les magistrats à adhérer à des syndicats, dans le respect de leur devoir de réserve, comme pour tout fonctionnaire. En résumé, c’est bien l’indépendance des juges qui rend possible leur neutralité, et non l’inverse.