Les émissions religieuses sur l’audiovisuel public en France : la neutralité par le pluralisme

Création : 12 juin 2018
Dernière modification : 15 juin 2022

Auteur : Jérémy Surieu, étudiant en Master à l’UVSQ, sous la direction de Jean-Paul Markus, professeur de droit

Les émissions religieuses font partie des programmes les plus anciens à la radio et à la télévision. La première messe télévisée au monde a été diffusée en direct de Notre-Dame-de Paris en 1948, et la toute première émission religieuse a vu le jour l’année suivante. Aujourd’hui des programmes religieux sont toujours diffusés, notamment à la télévision publique, avec l’émission catholique « Le Jour du Seigneur », le dimanche matin sur France 2. Évidemment les téléspectateurs attentifs au droit peuvent légitimement s’interroger sur la légalité de tels programmes au sein du service public audiovisuel, notamment au regard de la loi du 9 décembre 1905 de séparation des Églises et de l’État. Il convient donc de rappeler le cadre juridique afférant à ces programmes spécifiques.

La diffusion de programmes religieux par les chaînes publiques est prévue par la loi. C’est la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, dite loi « Léotard » qui prévoit et encadre juridiquement la programmation de ces émissions. Cette loi impose à France Télévisions de programmer et de participer à la réalisation d’émissions religieuses consacrées aux principaux cultes. Les chaînes publiques, essentiellement France Télévisions, et les radios publiques, essentiellement France Inter et France Culture, se voient donc dans l’obligation de consacrer un certain temps d’antenne à la diffusion de programmes à connotation religieuse. Une loi du 7 août 1974 avait déjà consacré un droit à l’antenne pour les émissions religieuses. La diffusion de programmes religieux est donc rendue possible en droit français par une interprétation très particulière du principe de neutralité du service public audiovisuel : l’idée est que le pluralisme dans le contenu de l’audiovisuel public est une garantie de cette neutralité : c’est la neutralité du service public, à travers la représentation de toutes les tendances, y compris religieuses. Le raisonnement est le même pour les émissions politiques au moment des élections.
C’est donc ce principe de « neutralité par le pluralisme » qui fonde la légalité des programmations religieuses.

Un service public de la pluralité. Les programmes à caractère religieux sur les chaînes et radios publiques participent donc à la formation des divers courants d’opinions des citoyens, et revêt ainsi le caractère d’une mission de service public, la télévision jouant indiscutablement un rôle moteur dans l’influence de l’opinion publique. En outre, le cahier des missions et des charges de la société Radio France prévoit dans son article 18 que la « société programme et fait diffuser le dimanche matin des émissions à caractère religieux, consacrées aux principaux cultes pratiqués en France (…) » la responsabilité de ces programmes incombant aux représentants désignés par les hiérarchies respectives des cultes. Dans un souci de garantir une stricte égalité entre les différents cultes, les frais de réalisation sont pris en charge directement par les chaînes dans certaines limites.

De plus il convient de rappeler le principe posé par l’article 2 de la loi du 29 juillet 1982 selon lequel « les citoyens ont droit à une communication libre et pluraliste ». Plus encore, le pluralisme est un « objectif à valeur constitutionnelle » selon le Conseil constitutionnel, dont le respect est « une des conditions de la démocratie » . Cela se traduit dans l’article 5 de la loi du 29 juillet 1982 qui prévoit que le service public de la radiodiffusion a pour mission de faciliter la « communication sociale et notamment l’expression, la formation et l’information des communautés culturelles, sociales et des familles spirituelles et philosophiques ». Enfin, le Conseil constitutionnel a reconnu l’accès des principaux cultes à l’antenne comme un des éléments permettant de garantir le pluralisme au sein du secteur public audiovisuel.

Il résulte de tout ceci que c’est bien la loi qui prévoit les émissions religieuses, sur la base de la Constitution, et cela sans que puisse être opposée la loi de séparation de l’Église et de l’État de 1905. Les deux lois s’appliquent parallèlement, aucune ne primant sur l’autre : on dit en droit que ces lois se concilient.

La question de l’égalité entre les cultes représentés. La loi de 1974 ne comporte aucune référence explicite à une religion, aux cultes ou aux églises concernées par ce droit d’accès aux antennes publiques. Elle se borne à mentionner les « grands courants de l’opinion ». C’est donc le juge qui doit délimiter les contours de cette notion. Il l’a fait dans une décision rendue en 1980 au sujet d’une demande tendant à bénéficier d’un même espace d’expression au bénéfice des athées. Le Conseil d’État a rejeté la demande des athées, en jugeant que le principe d’égalité de traitement des grands courants d’opinion « ne fait pas obstacle à ce que des émissions particulières soient consacrées à l’expression de certaines formes de pensée et de croyance ».

En conclusion, la légalité des émissions religieuses sur les chaînes de l’audiovisuel public ne fait pas l’ombre d’un doute. Cependant on peut légitimement s’interroger sur leur devenir sur les ondes hertziennes. En effet l’article 56 de la loi de 1986 dispose que les émissions religieuses du dimanche matin peuvent prendre la forme de rituels religieux ou de commentaires religieux. On pourrait ainsi tout à fait imaginer la mise en place d’autres formats de programmes que ceux existants déjà à l’heure actuelle comme par exemple des programmes traitants de l’histoire des religions ou apportant des explications sur les diverses pensées religieuses sur le modèle de certaines émissions de France Culture ou France 5. Cela répondrait davantage à la vocation de l’audiovisuel public qui est d’œuvrer pour une meilleure compréhension par les citoyens de la pluralité des courants de pensée religieuse conduisant à plus de respect les uns vis-à-vis des autres afin de contribuer à « faire nation ».

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