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Les 1001 stratégies judiciaires de Marine Le Pen pour échapper à sa peine d’inéligibilité

Marine Le Pen lors d'une session de questions au gouvernement à l'Assemblée nationale, le 15 octobre 2025. Crédit : Alain Jocard / AFP
Création : 21 octobre 2025

Autrice : Clara Robert-Motta, journaliste

Relecteurs : Jean-Baptiste Thierry, professeur de droit pénal à l’Université de Lorraine

Bertrand Léo-Combrade, professeur de droit public à l’Université de Poitiers

Etienne Merle, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, journaliste

Clara Robert-Motta, journaliste

Condamnée à de l’inéligibilité avec exécution provisoire pour « détournement de fonds publics » dans le cadre de l’affaire dite des assistants parlementaires de l’Union européenne, Marine Le Pen se démène pour contourner cette peine qui l’empêche de se présenter à l’élection présidentielle en ponçant le système judiciaire jusqu’à ses limites.

Marine Le Pen dit de ses adversaires politiques qu’ils s’accrochent à leurs postes comme lors d’un rodéo. Mais depuis le couperet de sa condamnation à quatre ans d’emprisonnement en première instance — dont elle a fait appel, et reste donc présumée innocente — c’est plutôt la présidente des députés du Rassemblement national qui semble refuser de descendre de sa monture. 

Condamnée à cinq ans d’inéligibilité assortis de l’exécution provisoire, ce qui l’empêche pour le moment de se présenter à l’élection présidentielle, Marine Le Pen déploie désormais tout l’arsenal juridique imaginable pour rester dans la course… quitte à créer de toutes pièces de nouveaux litiges.

Ce 15 octobre 2025, le Conseil d’État rejette le recours formé par Marine Le Pen concernant des demandes d’abrogation de dispositions règlementaires, à l’occasion desquelles elle avait formé une question prioritaire de constitutionnalité sur la fameuse exécution provisoire de la peine d’inéligibilité.

Déposer le plus de QPC possible

Pour bien comprendre, il faut rembobiner. Le 31 mars 2025, Marine Le Pen est condamnée à cinq ans d’inéligibilité que le juge assortit d’une exécution provisoire. C’est le choc pour les membres du parti qui planchent rapidement sur des solutions pour sortir leur leadeur historique de la panade. 

Différentes solutions vont s’ouvrir à eux. Ils peuvent attendre la deuxième instance du procès et espérer que les juges rendent un autre jugement. Si Marine Le Pen est relaxée, elle pourra se présenter quand bien même il y aurait un pourvoi en cassation. 

Si elle est déclarée coupable, mais que la peine d’inéligibilité n’est pas assortie d’une exécution provisoire, Marine Le Pen aura une fenêtre de tir  pour se présenter in extremis comme candidate à l’élection présidentielle, avant un pourvoi en cassation. En revanche, si la cour d’appel prononce une peine similaire à la première instance – donc avec exécution provisoire –, elle ne pourra pas se présenter comme candidate à l’élection présidentielle étant inéligible (sauf à ce que la Cour de cassation casse l’arrêt avant l’élection).

L’autre espoir pour Marine Le Pen est de contester l’exécution provisoire de sa peine en posant une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). En clair, elle conteste que la disposition permettant cette exécution provisoire soit conforme à la Constitution. Pour cela, il faut qu’elle présente à un juge cette question, laquelle, si elle est suffisamment sérieuse, sera transmise au Conseil constitutionnel qui tranchera.

Son procès en appel n’ayant lieu qu’en janvier 2026, il lui faut trouver d’autres occasions pour présenter une QPC si elle ne souhaite pas attendre jusque-là. C’est la raison pour laquelle  la présidente des députés RN force le destin en créant des litiges.

Dessin, le 31 mars 2025, de Marine Le Pen attendant le verdict et le jugement à son procès pour détournement de fonds publics au tribunal de Paris. Crédit : Benoit Peyrucq / AFP

 

Marine Le Pen a ainsi élaboré une stratégie. Deux semaines après le jugement de son procès, elle demande au Premier ministre, François Bayrou,  d’abroger ou de modifier plusieurs « dispositions […] sur l’exécution provisoire d’inéligibilité ». Problème : les dispositions en question relèvent du domaine législatif et non règlementaires comme elle le dit. Or, le Premier ministre n’a pas le pouvoir de changer la loi, ce que Marine Le Pen sait parfaitement. Sa requête est donc, sans surprise, refusée, un mois plus tard.

Elle décide alors de contester ce refus devant le Conseil d’État. Et là, bingo, le tour est joué : la voilà enfin devant les juges. Marine Le Pen en profite pour poser une QPC concernant, notamment, ce fameux article 471, alinéa 4 du code de procédure pénale qui autorise une exécution provisoire pour la peine d’inéligibilité. 

« Nous ne croyons pas faire injure à la requérante en disant qu’elle a conçu ce litige de toutes pièces dans l’objectif de poser sa QPC. »

Sauf que le Conseil d’État ne s’y trompe pas. « Nous ne croyons pas faire injure à la requérante en disant qu’elle a conçu ce litige de toutes pièces dans l’objectif de poser sa QPC », aurait affirmé un haut magistrat à l’audience rapporté par Le Figaro.

Les juges rejettent en bloc son recours et sont particulièrement sévères concernant la QPC. « Le Conseil d’État constate que les dispositions règlementaires contestées par le recours soit n’existent pas, soit sont sans rapport avec l’exécution provisoire de la peine complémentaire d’inéligibilité », est-il écrit dans le communiqué. Le litige initial n’ayant aucun fondement réel, la QPC n’est donc même pas examinée. Retour à la case départ.

La stratégie de la contestation lors d’élections législatives

Autre solution possible : pousser pour une dissolution afin qu’elle perde son siège de députée et se représente aux prochaines élections législatives. 

L’acrobatie semble risquée. Toujours frappée d’inéligibilité, si Marine Le Pen se présente comme candidate aux élections législatives, sa candidature serait, selon toute logique, refusée. Alors, elle pourrait contester cette décision en formant un recours et une demande de QPC soit sur la peine complémentaire d’inéligibilité directement, soit sur l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité.

En réalité, déposer elle-même une QPC sur ce dernier point semble impossible pour celle qui est toujours élue députée. Et c’est une question de timing, car quelqu’un lui est passé devant à quelques mois près.

Une QPC d’un élu guadeloupéen qui change tout

Coup du sort, Marine Le Pen n’est pas la seule élue à avoir été condamnée pour des faits de probité couplés d’une exécution provisoire de la peine d’inéligibilité. Bernard Pancrel, ancien maire de Saint-François en Guadeloupe, a été condamné en deuxième instance en janvier 2025 pour favoritisme, faux et usage de faux, à une peine de prison assortie d’une inéligibilité soumise à une exécution provisoire.

L’édile guadeloupéen semble, lui aussi, avoir moyennement accepté de perdre ses différents mandats électifs et a entrepris de contester cette peine … avec la même stratégie que celle de Marine Le Pen. Sa demande de question prioritaire de constitutionnalité a, elle, été transmise, le 24 septembre 2025, par la Cour de cassation. Cela signifie que le Conseil constitutionnel a trois mois, à partir de sa réception, pour statuer sur la conformité à la Constitution de l’article. 

Le fait que le Conseil constitutionnel se penche déjà sur une QPC sur l’article précis que conteste Marine Le Pen rend invraisemblable qu’un autre tribunal accepte une autre QPC sur cette même question.

Le fait que le Conseil constitutionnel se penche déjà sur une QPC sur l’article précis que conteste Marine Le Pen rend invraisemblable qu’un autre tribunal accepte une deuxième QPC sur cette même question. Surtout, l’autorité de chose jugée attachée à la décision future du Conseil empêcherait qu’une QPC soit formée contre les mêmes dispositions. 

Autrement dit, si Marine Le Pen a des chances quasi nulles de voir ses propres demandes de QPC acceptées, cela ne change rien au fait que le Conseil constitutionnel va, quoi qu’il en soit, vérifier la conformité de l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité à la Constitution. 

Marine Le Pen pouvait même faire une intervention en soutien de la QPC auprès du Conseil constitutionnel jusqu’au 13 octobre 2025. Concrètement, elle pouvait compléter la QPC formée par Bernard Pancrel, l’ancien maire guadeloupéen, et son avocat pourrait être entendu. Pour l’heure, nous ne savons pas si Marine Le Pen a bel et bien fait une intervention en soutien à cette QPC.

Ainsi, leurs sorts sont liés, et les deux élus seront fixés au plus tard au lendemain de Noël. 

Tenter d’annuler les conséquences directes 

Autre front de bataille judiciaire pour Marine Le Pen : tenter d’annuler les conséquences directes de l’exécution provisoire de son inéligibilité. Si son mandat de députée est protégé tant que la décision n’est pas définitive, celui de conseillère départementale, lui, a sauté. 

Ainsi, le 10 avril 2025, le préfet du Pas-de-Calais l’avait déclarée démissionnaire de son poste pour appliquer la peine d’inéligibilité prononcée à son procès. Marine Le Pen a alors contesté la décision auprès du tribunal administratif et en a profité … pour déposer une demande de question prioritaire de constitutionnalité. Cette fois-ci, elle avait ciblé la décision de démission qui lui a été imposée et non l’exécution provisoire de sa peine. 

En même temps que le Tribunal administratif (TA) de Lille confirmait la décision concernant la démission de Marine Le Pen du Conseil départemental du Pas-de-Calais (pour laquelle elle dit avoir interjeté appel), il a également rejeté sa demande de recours de QPC car … un autre élu lui était déjà passé devant. Le sort s’acharne. 

En effet, trois jours avant le verdict de son procès, le Conseil constitutionnel s’était penché sur une QPC déposée par l’élu de Mayotte, Rachadi Saindou, qui contestait la démission qui avait été procédée par le préfet à la suite d’une peine d’inéligibilité avec exécution provisoire. 

Dans sa décision, le TA de Lille a donc estimé que les dispositions contestées par Marine Le Pen étaient similaires à celles de l’élu mahorais. Comme elles avaient été jugées conformes à la Constitution sous réserve d’interprétation, il n’y avait donc pas de possibilité de juger de nouveau la même disposition.

Une demande auprès de la Cour européenne des droits de l’homme

Dans un recours (désespéré) de Marine Le Pen, cette dernière avait même porté son cas, en juillet 2025, auprès de la Cour européenne des droits de l’homme pour demander une mesure provisoire de suspension de l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité. La CEDH a refusé cette demande au motif « qu’en tout état de cause l’existence d’un risque imminent d’atteinte irréparable à un droit protégé par la Convention ou ses protocoles n’est pas établie ». 

Les stratèges judiciaires du Rassemblement national ne font pas la fine bouche et utilisent absolument tous les moyens judiciaires à leur disposition – ceux-là mêmes qu’ils sont prompts à critiquer – pour donner à leur championne l’occasion de se représenter une quatrième fois à l’élection présidentielle. Les lepénistes disent même avoir réfléchi à proposer une loi d’amnistie, ou une loi annulant tout bonnement l’exécution provisoire de l’inéligibilité. 

La majorité de ses recours sont, jusqu’ici, malheureux – car souvent maladroits – et peuvent vraisemblablement satisfaire un but bien plus politique lui assurant sa position favorite de victime du soi-disant système judiciaro-politique.