Le retrait de la Convention sur les violences faites aux femmes : quels enjeux ?

Création : 6 août 2020
Dernière modification : 20 juin 2022

Autrice : Tania Racho, docteure en droit public à l’Université Paris 2 Panthéon-Assas

En juillet 2020, le ministre de la justice polonais – tempéré par les autres membres du gouvernement – et le gouvernement turc ont suggéré le retrait de la « Convention d’Istanbul », appelée ainsi en raison du lieu où elle a été signée en 2011. Son nom entier est « Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique ». Son objectif, assez évident, est de protéger les femmes à l’encontre de toutes formes de violences. Pourquoi envisager un retrait ? Est-ce seulement possible ? 

6 ans après son entrée en vigueur, elle fait l’objet de polémiques par des annonces de retrait venant de Turquie et de Pologne. D’ailleurs, avant même de considérer la possibilité de se retirer, la Hongrie et la Slovaquie avaient rejeté la ratification même de la convention, l’empêchant d’entrer en vigueur sur leur territoire. 

Pourquoi autant de controverse envers une Convention qui lutte contre les violences faites aux femmes ? Les arguments sont différents mais certains Polonais, dont les membres du parti conservateur PiS au pouvoir, estiment que la Convention apporterait des changements moraux profonds et porterait une idéologie homosexuelle… En réalité, la Convention précise que pour les violences faites aux femmes, les justifications liées à l’honneur, la religion ou la coutume par exemple ne sont pas acceptables (article 6) et invite les États à proposer du matériel éducatif sur des sujets comme les rôles non stéréotypés des genres (article 14). Pour d’autres en Turquie, dont les membres du parti au pouvoir, la convention ne défend pas  l’unité familiale, valeur fondamentale du pays, inscrite dans sa Constitution. 

Les enjeux liés au retrait de la Convention paraissent symboliques et proviennent de pays qui valorisent une structure familiale stable. L’analyse faite par le GREVIO (Groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique) sur la législation d’un pays contribue sans doute à la volonté de dénoncer le traité, pour éviter qu’un groupe externe ne formule des critiques à l’encontre de la législation du pays. 

Le retrait facile de la convention

La Convention d’Istanbul a été adoptée en 2011 mais est entrée en vigueur en août 2014 après 10 ratifications, ce qui correspond à la confirmation par un pays de la signature du texte. En ce mois d’août 2020, 34 pays européens ont ratifié le traité et aucun ne s’en est encore retiré. 

Le texte prévoit la possibilité de dénoncer cette ratification, donc de se retirer du traité (article 80). Le processus est très simple, il suffit d’envoyer une notification au Secrétaire général du Conseil de l’Europe et le retrait prend effet trois mois après la réception du document. Si donc la Pologne et la Turquie veulent vraiment sortir de cette convention, elles le pourraient très rapidement, contrairement à certains traités comme celui de l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé), qui prévoient par sécurité des délais plus ou moins longs avant que la sortie ne soit définitive.

Une Convention dont le respect est surveillé par un comité d’experts

La Convention d’Istanbul a une particularité : elle met en place un comité d’experts chargés de vérifier que les pays qui ont ratifié appliquent correctement le traité. Ce comité est appelé le GREVIO, il comprend 10 membres et fonctionne par cycles d’évaluation.

Les évaluations se font en plusieurs étapes : les pays reçoivent un questionnaire auquel ils doivent répondre sous forme de rapports à envoyer à une date précise. Les experts se déplacent ensuite pour auditionner les autorités gouvernementales et enfin le GREVIO rend des recommandations au pays. Par ces recommandations, les pays sont évalués et les experts invitent les pays à modifier leurs législations sur certains points. Par exemple, dans l’évaluation de la France, le GREVIO « exhorte les autorités françaises à réexaminer leur législation (…) en particulier la pratique de la correctionnalisation, en matière de violences sexuelles ». En effet, une pratique courante est de qualifier d’agression sexuelle ce qui est en réalité un viol afin que le procès soit jugé devant un tribunal correctionnel et non une Cour d’assises, qui n’est pas permanente et comprend un jury. 

Le comité pose donc un regard assez pénétrant sur la législation des pays qui ont ratifié la convention. 

Concernant plus particulièrement la Turquie, dans l’évaluation réalisée en septembre 2018, le GREVIO a salué les efforts entrepris mais il a aussi mis en avant des aspects à améliorer comme par exemple la prise en compte des discriminations intersectionnelles à l’encontre de femmes (kurdes, handicapées, migrantes, etc.). 

La Pologne a de son côté entamé le processus d’évaluation avec un rapport de février 2020. Le GREVIO devrait présenter son évaluation en juin 2021. En attendant, c’est le ministre de la justice qui a fait connaître sa volonté de se désengager du traité signé auparavant par un gouvernement centriste. 

Autres textes juridiques engageants 

Le retrait de la Convention d’Istanbul aurait de toute façon des effets limités,  car la Turquie et la Pologne resteraient liées par d’autres textes internationaux de protection des droits de l’homme. Les deux pays sont notamment parties à la Convention sur l’élimination de toutes les discriminations à l’égard des femmes (CEDAW) des Nations Unies. La convention fonctionne également avec un Comité qui rend des évaluations à l’image du GREVIO. Les deux pays sont aussi tenus de respecter la Convention européenne des droits de l’homme et la Pologne, membre de l’Union européenne, doit respecter sa Charte des droits fondamentaux.

La volonté annoncée de dénoncer la Convention d’Istanbul, qui se concentre sur les violences faites aux femmes, traduit donc une vision de la société dans laquelle la cellule familiale dans son ensemble est valorisée. Le message envoyé par ces pays reste cependant étrange au vu de l’objet de la convention et la population des deux pays manifeste son opposition au retrait. La convention est donc en train de devenir le point de friction entre des partisans du pouvoir en place et ceux de l’opposition.  

Enfin, même si la Turquie se retire, la convention restera connue comme “Convention d’Istanbul”, ce qui paraît par conséquent assez paradoxal.

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