#FactCheck. Le projet de loi sur la fin de vie permettra-t-il une “euthanasie à la carte” ?
Auteur : Nicolas Kirilowits, journaliste
Relectrice : Clara Robert-Motta, journaliste
Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Antoine Mauvy, étudiant en droit à Paris II Panthéon-Assas
Source : Publication Facebook, le 23 mai 2024
Une publication postée sur Facebook affirme notamment que “l’aide à mourir”, instituée par un projet de loi examiné à l’Assemblée nationale, reviendrait à une “euthanasie à la carte”. Une position qui relève essentiellement d’une interprétation des débats en cours et loin d’être partagée par une série d’acteurs engagés sur le texte.
Débat politique, sociétal, mais aussi philosophique, la fin de vie interpelle autant qu’elle agite les convictions de chacun. Discuté à l’Assemblée nationale depuis le 27 mai dernier, le projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie, selon son titre exact, n’échappe pas à cette logique ontologique.
Ainsi, quand certains sont favorables à de nouvelles dispositions législatives, d’autres s’opposent à toute évolution de la loi. C’est le cas, par exemple, de la Confédération Nationale des Associations Familiales Catholiques (AFC) qui, pour exprimer son opposition au texte et, plus précisément, à l’instaurtion de l’aide à mourir, a publié un post sur Facebook affirmant que “le pronostic vital n’a plus à être engagé” pour accéder à cette dernière.
Une bataille sémantique
Ce “pronostic vital“, qui aurait été supprimé, auquel fait référence l’association, est un terme qui a effectivement été supprimé du projet de loi. Dans le texte présenté par le gouvernement au bureau de l’Assemblée nationale le 10 avril, il était écrit que l’aide à mourir était accessible à une personne “atteinte d’une affection grave et incurable engageant son pronostic vital à court ou à moyen terme”.
Or, lorsque le texte est passé devant la commission spéciale constituée pour examiner ce projet, les députés ont voté deux amendements (n° 659 et n° 1558) pour modifier cette formulation. Selon le texte amendé qui est actuellement discuté à l’Assemblée par l’ensemble des parlementaires, pour bénéficier de l’aide à mourir, une personne doit “être atteinte d’une affection grave et incurable en phase avancée ou terminale”.
Une correction sémantique lourde de conséquences d’après Benoît Hautier, le responsable communication de l’AFC. “Cette condition ainsi modifiée permettra donc d’élargir encore plus les maladies éligibles à la mort administrée”, estime-t-il auprès des Surligneurs.
Un avis que ne partage pas, de son côté, Yohan Brossard, le secrétaire général de l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD), lui aussi interrogé. “Par définition, une maladie grave et incurable engage le pronostic vital du patient, affirme-t-il. On évite avec ces amendements une forme de redondance et un flou quant à la notion de court et moyen terme”.
De fait, si les explications jointes aux exposés des amendements votés en Commission, consultables ici et là, stipulent bien que “ces termes ‘avancée ou terminale’ permettront d’élargir la possibilité d’accéder à l’aide à mourir”, il est aussi précisé qu’“il est difficile, voire impossible, d’établir le délai d’engagement d’un pronostic vital. Les médecins déclarent ne pas être en capacité de le faire, au regard de l’évolution de la maladie et des réactions du malade.”
Juridiquement, si les notions “court et moyen terme” ne sont pas définies, celles de “phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable” sont inscrites dans le Code de la santé publique.
Un cadre strict
En réalité, au-delà de l’interprétation qui peut être faite d’une loi qui n’a pas encore été votée, ce sont surtout certains termes utilisés dans la publication Facebook de l’AFC qui soulèvent des interrogations. Est-il possible d’affirmer que “le présent texte, s’il était voté dans son intégralité, permettrait de tuer” comme l’écrit l’AFC ?
“C’est choquant de lire cela”, réagit Agnès Firmin Le Bodo, la députée qui préside la commission spéciale et, par ailleurs, ancienne ministre de la Santé. Même son de cloche du côté de Yohan Brossard. “Ce n’est pas un texte qui tue, mais une maladie”, juge-t-il. “Les personnes qui ne voudraient pas recourir à l’aide à mourir ne seront jamais obligées de la faire.”
Outre le choix des patients, si le projet de loi était voté dans cette forme, les professionnels de santé auraient également le choix ou non de participer à ces dispositions grâce à une clause de conscience prévue à l’article 16 du texte.
De la même manière, contrairement à ce que suggère le post, aucune liste de maladies n’est arrêtée pour l’accès à l’aide à mourir. “Ce serait une erreur d’établir une liste car la recherche avance et des nouvelles maladies apparaîtront“, précise Agnès Firmin Le Bodo. Impossible dès lors de la comparer à une “euthanasie à la carte”.
Le mot “euthanasie”, tout comme celui de “suicide assisté” ne sont d’ailleurs jamais employés dans le projet de loi du gouvernement ou celui modifié par les parlementaires en commission. “L’esprit du texte est de favoriser autant que possible l’auto-administration de la substance létale”, précise aux Surligneurs l’un des collaborateurs de la députée Laurence Maillart-Méhaignerie, l’une des rapporteures du texte à l’Assemblée.
Ni euthanasie, ni suicide assisté
Dans le détail, selon l’article 5 actuellement débattu par les parlementaires : “L’aide à mourir consiste à autoriser et à accompagner une personne qui en a exprimé la demande à recourir à une substance létale […] afin qu’elle se l’administre ou, lorsqu’elle n’est pas en mesure physiquement d’y procéder, se la fasse administrer par un médecin, un infirmier ou une personne majeure qu’elle désigne et qui se manifeste pour le faire. “
Par ailleurs, l’article 6 – celui des amendements tant décriés – énumère une série de conditions d’accès cumulatives, jamais précisée dans le post. En clair, sans respect de toutes de ces conditions, l’aide à mourir restera inaccessible à une personne qui en fait la demande.
“Cette loi, si elle est adoptée sera l’une des plus restrictives au monde“, affirme Agnès Firmin Le Bodo. Pour Yohan Brossard, la formulation du texte permettra d’“éviter les dérives“. Une position qu’est loin de partager l’AFC qui assure, sur son site internet, que “les dérives sont inévitables dès que l’interdit de tuer est levé“.
Le vote solennel sur le projet de loi à l’Assemblée est prévu pour le 18 juin prochain, et il faudra encore attendre le passage de la navette parlementaire via le Sénat pour que le texte soit adopté. Les débats, eux, ne s’arrêteront probablement pas à cette date.
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