Le « made in France » est-il surtaxé par la loi de finances pour 2025 ?
Dernière modification : 20 février 2025
Auteur : Hugo Guguen, juriste
Relecteurs : Nicolas Turcev, journaliste
Guillaume Baticle, doctorant en droit public, université de Poitiers
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun.
Secrétariat de rédaction : Clara Robert-Motta, journaliste
Source : Présentation des résultats annuels LVMH, le 28 janvier 2025
Si le texte prévoit bien une contribution exceptionnelle des grandes entreprises françaises, il est incorrect d’affirmer que l’intégralité des produits français est surtaxée. Cette mesure ne concerne que l’exercice 2025 et qu’un nombre très limité d’entreprises : celles réalisant un chiffre d’affaires supérieur ou égal à un milliard d’euros.
« C’est la taxation du made in France », a dénonce Bernard Arnault lors de la présentation des résultats annuels de LVMH. Le PDG de la multinationale du luxe et homme le plus riche de France n’apprécie pas la surtaxe provisoire sur les entreprises françaises prévue dans le projet de loi de finances pour 2025, adopté définitivement au Sénat le 6 février dernier, après l’utilisation du 49.3 à l’Assemblée nationale par le gouvernement.
S’il existe bien une nouvelle surtaxe d’impôt sur les sociétés pour les entreprises françaises, cette dernière est en réalité bien plus limitée qu’on ne le pense et ne concerne pas le « made In France » dans son intégralité. Les Surligneurs vous expliquent.
Une surtaxe pour les entreprises réalisant plus d’un milliard de chiffre d’affaires annuel
La loi de finances pour 2025 prévoit en son article 11 une contribution exceptionnelle pour les entreprises françaises pour l’exercice 2025. Imaginé par le gouvernement Barnier, ce mécanisme permettrait de récupérer un montant important dans l’esprit de contribuer à l’effort budgétaire national et de résorber la dette française. « Dans la condition budgétaire dans laquelle nous nous trouvons, chacun doit prendre part aux efforts », justifiait Sophie Primas, la porte-parole du gouvernement, le 29 janvier.
Pourtant, cette contribution exceptionnelle ne vise pas toutes les entreprises françaises, mais seulement les plus grandes : à savoir celles dont le chiffre d’affaires excède un milliard d’euros. Le second paragraphe de l’article 11 précise en effet que : « Sont redevables de la contribution exceptionnelle les redevables de l’impôt sur les sociétés prévu à l’article 205 du Code général des impôts qui réalisent un chiffre d’affaires supérieur ou égal à 1 milliard d’euros. »
Le gouvernement a prévu deux paliers au sein de ce dispositif. Pour les entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur ou égal à un milliard d’euros, mais inférieur à trois milliards d’euros, cette surtaxe sera fixée à 20,6 %. Pour celles dont il est supérieur ou égal à trois milliards d’euros, la contribution sera fixée à 41,2 %.
Autrement dit, seules les entreprises françaises possédant un chiffre d’affaires annuel supérieur à un milliard sont concernées par cette surtaxe « made In France ». Soit une infime fraction d’entre elles.
99,8 % des entreprises ne sont pas concernées
Selon les chiffres de l’Insee, en 2022, le nombre d’entreprises en France des secteurs marchands, non agricoles et non financiers, s’élève à un peu plus de 4,9 millions. Parmi ces dernières, une écrasante majorité est considérée comme microentreprise ou PME (petites et moyennes entreprises).
Il est pertinent de mentionner que les études de l’Insee ne prennent pas en compte les secteurs agricoles et financiers, car l’usage n’est pas de compter les entreprises, mais le nombre d’exploitations agricoles et d’unités légales.
En droit français, la désignation des catégories d’entreprises est encadrée par le décret n° 2008-1354 du 18 décembre 2008. Ce dernier, en son article 3, précise que la catégorie des microentreprises est constituée d’entreprises qui ont un chiffre d’affaires annuel n’excédant pas deux millions d’euros. La catégorie des PME, quant à elle, comprend les entreprises dont le chiffre d’affaires annuel n’excède pas 50 millions d’euros.
En additionnant ainsi les PME et les microentreprises, on obtient 4 904 100, soit près de 99,8 % du total des entreprises français.
On se trouve bien loin du palier d’un milliard d’euros de chiffres d’affaires annuel nécessaire pour être redevable de la surtaxe de l’article 11 de la loi de finances pour 2025. En d’autres termes, ces près de 99,8 % des entreprises n’atteignent pas ce palier et ne sont, par conséquent, pas concernées par la mesure.
Dès la conception du dispositif, Michel Barnier assurait déjà que seulement « quelque 300 entreprises » seraient concernées par cette hausse d’impôt. Cette mesure devrait rapporter huit milliards d’euros, d’après le gouvernement.
Mais malgré tout, cette idée que l’on taxe plus sévèrement le made In France est une idée qui est souvent relayée sur les réseaux sociaux. Par exemple, dans une vidéo YouTube intitulée « On surtaxe le made In France », l’influenceur Charb, que nous avions déjà eu l’occasion de surligner, s’indigne d’une apparente surtaxe qui s’appliqueraient à toutes les entreprises françaises.
« Eh bien avec l’histoire de la réforme du budget de Bayrou, combien ça va couter ? […] J’aimerais bien que les gens qui fabriquent le made in France ne soient pas défoncés comme ça en fait, tout ce qu’ils savent faire c’est taxer, surtaxer et resurtaxer ce qui est produit en local », s’énerve le youtubeur en parlant du prix d’un pot de miel fait par des producteurs français.
Pourtant, à moins que ces producteurs ne fassent partie du club exclusif des entreprises français réalisant plus d’un milliard de chiffre d’affaires annuels, ils ne seront pas concernés par la surtaxe de la loi de finances pour 2025.
[Mise à jour de l’article le 20/02/25 : remplacement du terme « bénéfice » par « chiffre d’affaires »]