L’armée peut-elle intervenir sur le territoire national pour traiter certains types de délinquance ?

Création : 22 janvier 2022
Dernière modification : 27 juin 2022

Auteur : Jean-Philippe Siebert, master métiers de l’administration, Université de Haute-Alsace

Relectrice : Karine Favro, professeur de droit public, Université de Haute-Alsace

Les militaires peuvent être sollicités sur le sol français pour soutenir les autorités civiles. C’est parfois le cas lors de catastrophes naturelles. La menace terroriste mobilise aussi les armées. Mais les militaires n’ont pas vocation à remplacer les forces de l’ordre, sauf situation très particulière.

Le principe : monopole des forces de sécurité intérieure dans les pouvoirs de police

Autrefois, l’armée intervenait sur le territoire national pour des missions de police comme l’encadrement de manifestations. La gendarmerie mobile et les compagnies républicaines de sécurité (CRS) n’existaient pas. L’action des militaires causait souvent des blessés voire des morts parmi les manifestants. Finalement, la gendarmerie mobile fut créée en 1921 pour gérer les manifestations avec des techniques plus adaptées. Les CRS suivirent en 1944. En matière de police, la compétence militaire s’en est donc trouvée d’autant réduite.

Ce sont les forces civiles de sécurité intérieure qui effectuent les arrestations, les perquisitions et les enquêtes sur le territoire national. L’armée n’a aucun rôle institutionnel dans ces affaires. Les militaires peuvent néanmoins interpeller l’auteur d’une infraction grave comme tout citoyen, en vue de le conduire aux forces de l’ordre. Réciproquement, la police n’intervient pas dans les opérations extérieures sauf pour la protection de certaines ambassades. Seule la gendarmerie, au statut particulier, peut intervenir pleinement en France comme à l’étranger.

Enfin, l’état d’urgence créé en 1955 est une situation juridique de pouvoir renforcé des autorités civiles, mais pas militaire. Décidé par décret en conseil des ministres, il est déclaré sur tout ou partie du territoire national en cas d’atteintes graves à l’ordre public ou de calamité publique. Il a partiellement intégré le droit commun en 2017.

Les exceptions : l’armée en soutien des forces de l’ordre

On ne fera qu’évoquer l’exception liée à l’état de siège prévu à l’article 36 de la Constitution, qui a pour conséquence de transférer les pouvoirs de police aux autorités militaires. Les tribunaux civils sont remplacés par des juridictions militaires. L’armée ne soutient pas les forces de l’ordre, elle s’y substitue.

Plus fréquemment, l’armée peut intervenir en soutien des forces civiles de l’ordre. Pour cela, elle doit recevoir un ordre de réquisition du pouvoir civil. Ce préalable protège l’État d’une action d’insubordination des militaires.

Ainsi, depuis les attentats de 2015, l’armée est mobilisée sur le territoire national dans l’opération Sentinelle, dont l’objet est de lutter contre la menace terroriste. Les militaires travaillent en appui des forces de l’ordre. Ils patrouillent dans les sites sensibles et assurent la garde de certains lieux. La France n’étant pas juridiquement en guerre sur son sol, les militaires de cette opération sont soumis, concernant l’usage de leurs armes pour le maintien de l‘ordre, aux mêmes règles que la police. Les soldats peuvent intervenir en cas d’attaque s’ils sont à proximité ou que la police réclame leur appui (« prêter main-forte aux agents de la force publique si ceux-ci requièrent régulièrement son aide »), ou dans le cadre de la légitime défense. Dans le cadre de l’opération Sentinelle, les militaires sont soumis aux mêmes règles concernant l’utilisation de la force, que les forces civiles de l’ordre.

En Guyane, la gendarmerie et l’armée travaillent ensemble contre l’orpaillage clandestin, activité illégale dont la répression a été durcie dans la loi contre le dérèglement climatique (modifiant le code minier et aggravant les sanctions pénales). Dans ce cas particulier, les militaires participent bien à une opération de police.

Les autres opérations de maintien de l’ordre de l’armée en France

En plus du soutien aux forces de sécurité, l’armée accomplit d’autres missions sur le sol français. L’été, des contingents militaires ont pu être déployés dans le sud de la France pour combattre les feux de forêt. Ce fut l’opération Héphaïstos.
Au début de la crise sanitaire Covid-19, l’armée était aussi mobilisée pour renforcer les capacités médicales. Un hôpital de campagne fut ainsi installé à Mulhouse par la médecine militaire. Les militaires soutiennent aussi la sécurité civile lors de catastrophes naturelles.

Dans tous ces cas, l’armée n’apporte qu’un soutien matériel et humain, sans pouvoir de police.

Déployer l’armée dans les quartiers sensibles ?

C’est une idée parfois exprimée par des représentants politiques, notamment des candidats à l’élection présidentielle, en particulier Valérie Pécresse. Or les militaires ne peuvent en principe intervenir que si les moyens civils sont dépassés. C’est la règle dite « des 4 i » :  selon une instruction ministérielle du 14 novembre 2017 : « Il peut être recouru aux armées lorsque les moyens de l’autorité civile sont estimés indisponibles, inadaptés, inexistants ou insuffisants » (l’une ou l’autre de ces conditions suffit). En somme, il faut que les forces de l’ordre civiles ne soient plus en mesure d’assurer leur rôle, face à une crise très grave. S’agissant d’envoyer l’armée dans les quartiers sensibles, il faudrait donc prouver que la police n’a pas les moyens d’y rétablir l’ordre. Mais après tout, une instruction ministérielle est un acte sur lequel il est très facile de revenir : la loi peut parfaitement prévoir des brigades « mixtes« , avec police et armée, la seconde venant épauler la première, sans disposer de pouvoirs de police et en restant aux ordres de cette dernière.

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