L’Arcom ferme-t-elle vraiment les yeux sur des propos antisémites tenus par des collaborateurs de France 24 ?
Auteur : Etienne Merle, journaliste
Relecteurs : Charlotte Le Conte, doctorante en droit privé à l’université de Reims
Clara Robert-Motta, journaliste
Nicolas Turcev, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Clarisse Le Naour, double cursus L3 science politique et L3 droit public à l’université Lumière Lyon II
Source : Gilles-William Goldnadel, le 1er août 2025
Des internautes accusent l’autorité de régulation de ne pas sanctionner la chaîne publique France 24 pour des propos antisémites tenus par deux de ses collaborateurs. Une journaliste a déjà été renvoyée en 2023 et les déclarations ont été tenues hors antenne, cela ne rentre donc pas dans les prérogatives de l’Arcom.
Depuis le début du mois d’août, de nombreux internautes s’agacent de déclarations faites par deux collaborateurs de la chaîne publique France 24. La première personne mise en cause, Joëlle Maroun, journaliste en poste au Liban jusqu’en 2023, aurait ainsi écrit sur les réseaux sociaux : « Ils ont demandé à Hitler : ‘Qu’as-tu fait des juifs ?’ Il a répondu : ‘Rien d’extraordinaire, juste un barbecue' », rapporte une enquête de l’ONG Camera (Committee for Accuracy in Middle East Reporting in America).
Mais cette affaire remonte à 2023 et France 24 s’est déjà séparée de cette journaliste, comme l’indiquent un communiqué de presse de la chaîne et de multiples articles de presse publiés à l’époque.
Un autre collaborateur est dans le viseur des internautes. Il s’agit de Fady Hossam, « fixeur » régulier de France 24 depuis neuf ans dans les territoires palestiniens. L’homme a été évacué de la bande de Gaza vers la France le vendredi 25 juillet 2025, raconte la chaine publique dans un article qu’elle lui consacre.
Selon le site pro-israélien Honest reporting, ce collaborateur aurait tenu des propos antisémites sur les réseaux sociaux, notamment en 2014, appelant à « tuer » et « brûler » les juifs « comme l’a fait Hitler ». Exhumés une première fois en 2022, ces posts ont poussé le New York Times à se séparer du collaborateur palestinien, comme l’a confirmé le journal étasunien aux Surligneurs.
Contacté par Les Surligneurs, le groupe France Médias Monde, dont fait partie France 24, n’avait pas répondu à nos sollicitations au moment de la publication de cet article.
D’après certains internautes, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) devrait intervenir dans ce dossier. « Allo l’Arcom_fr ? Il y a très visiblement un TRÈS gros problème sur le service public, pas seulement dans votre totale indifférence, mais pire, avec votre bénédiction ! », dénonce un utilisateur de X.
Mais il fait fausse route. L’Arcom ne peut rien ici. D’une part, les propos des collaborateurs de France 24 ont été tenus hors antenne, donc hors du champ de compétence du régulateur de l’audiovisuel. Et d’autre part, même si l’Arcom régule aussi l’espace numérique, elle ne peut pas agir sur les contenus postés par des utilisateurs — si problématique soient-ils.
Pas de compétence de l’Arcom sur le recrutement d’un collaborateur
Créée par la loi du 25 octobre 2021 qui fusionne le CSA et la Hadopi, l’Arcom veille au respect, par les services audiovisuels et les plateformes, de leurs obligations légales et conventionnelles inscrites notamment dans la loi du 30 septembre 1986. Elle agit au niveau systémique : contrôle des dispositifs de modération, sanctions en cas de manquement, coordination de l’application du Digital Services Act.
Mais aucune de ses attributions ne lui permet de se prononcer sur le recrutement ou le maintien en poste d’un collaborateur par une chaîne. Son rôle est limité au contrôle du contenu diffusé à l’antenne et au respect, par les éditeurs de services, des principes fixés par la loi de 1986.
Elle n’a donc aucune compétence pour sanctionner un média parce qu’un de ses collaborateurs a tenu des propos graves dans un cadre privé ou sur ses réseaux sociaux. Seule une implication directe de la chaîne dans la diffusion, la caution ou la reprise de ces propos pourrait permettre à l’Arcom d’intervenir.
Dans ce scénario, le régulateur aurait pu intervenir : il aurait examiné si la chaîne avait manqué à ses obligations légales et conventionnelles, comme il l’a déjà fait dans d’autres affaires, par exemple lorsqu’il a sanctionné CNews après des propos tenus par Pascal Praud, ou lors d’avertissements sur des séquences jugées problématiques.
L’Arcom régule les services numériques, pas les contenus des utilisateurs
Les compétences de l’Arcom s’étendent aussi au domaine numérique. Comme les propos antisémites ont été tenus sur X, aurait-elle pu intervenir à ce niveau ? En réalité, la régulation des contenus n’entre pas dans son champ.
L’article 1 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) définit la « communication au public par voie électronique » et encadre son exercice pour protéger, par exemple, la dignité humaine ou l’ordre public.
C’est dans ce cadre général que l’Arcom contrôle les services audiovisuels et les plateformes, non pas en jugeant chaque message, mais en vérifiant que ces acteurs respectent leurs obligations légales de modération et de retrait des contenus illicites.
De manière générale, les plateformes, en tant qu’hébergeurs au sens de l’article 6-IV- A de la LCEN doivent retirer ou signaler aux autorités la présence de contenus manifestement illicites comme les contenus appelant à la haine, à la discrimination, etc. Tout utilisateur peut également notifier à la plateforme en question qu’elle héberge un contenu qu’il pense être illicite et lui demander sa suppression.
L’Arcom ne régule que la manière dont ces plateformes remplissent leurs obligations (article 62 de la loi de 1986) et peut les sanctionner si elles échouent à le faire. Même si le collaborateur de France 24 travaille pour une chaîne soumise à sa régulation, l’Arcom ne peut pas, en droit, se substituer aux tribunaux pour juger de tels contenus.