La pyramide de « BinBin » est-elle un mystère pour les égyptologues ?
Dernière modification : 6 août 2024
Autrice : Julia Terradot, journaliste
Relectrice : Clara Robert-Motta, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Etienne Merle, journaliste
Source : Compte Facebook, le 17 juillet 2024
Sur Facebook, une internaute partage les prétendus mystères entourant une pyramide de l’Égypte antique. Façonnée sur une pierre soi-disant intaillable, elle posséderait des propriétés magiques. Les Surligneurs se plongent dans la désinformation autour de l’Égypte antique, et ses conséquences insoupçonnées.
Sur Facebook, une internaute enchante ses lecteurs avec l’histoire de la “pyramide Bin Bin”, dont les mystères troubleraient des scientifiques depuis des milliers d’années. Elle accompagne sa prose d’une photo : une petite pyramide noire à la pierre lisse, ornée de hiéroglyphes.
D’après l’autrice, le mystère de la pyramide réside dans son matériau d’origine extraterrestre : une pierre de fer de météorite. Très dure, elle serait quasiment impossible à façonner, mais “pas difficile à briser” précise-t-elle, comme pour justifier l’évidente fissure d’un des coins de la pyramide que l’on aperçoit sur la photo.
Sans accès au graveur laser, comment les ouvriers de l’Égypte antique auraient-ils pu inscrire les hiéroglyphes à sa surface ? Cette question laisserait les fameux scientifiques démunis face à l’impénétrabilité d’une telle énigme.
Et le mystère continue. La pierre pyramidale émettrait “une énergie électromagnétique positive dans son environnement,” qui nous permettrait de nous sentir “psychologiquement à l’aise” à ses côtés. Cette pyramide et sa pierre magique feraient-elles partie des grands mystères de l’Égypte antique ?
Pas si mystérieuse
“Évidemment, c’est n’importe quoi”, résume Jean-Loïc Le Quellec, anthropologue et préhistorien, mythologue, directeur de recherche émérite au CNRS. Pour commencer, il ne s’agit pas d’une pyramide sur la photo, mais d’un pyramidion, “une pierre qui se mettait au sommet des pyramides pour terminer la construction”, explique-t-il.
Dans ce cas précis, il appartient à la pyramide du pharaon Amenemhat III, surnommée “pyramide noire” — et non Bin Bin – qui date de la 12ᵉ dynastie, autour du 18ᵉ siècle avant notre ère. Son surnom pourrait provenir de l’apparence sombre des briques qui la composent, vues de loin, selon le chercheur. Découvert au début des années 1900, l’édifice se trouve sur le site de Dahchour, au sud du Caire.
Quant au pyramidion, il réside dans le Musée égyptien du Caire. Il est taillé “d’un basalte hyper poli. C’est un super beau travail !” commente Jean-Loïc Le Quellec, qui a eu l’opportunité de voir l’œuvre de ses yeux des années auparavant. Le basalte vient de magma volcanique refroidi rapidement au contact de l’eau ou de l’air, parfois mépris pour du granite noir, formé par un refroidissement plus lent du magma dans les profondeurs de la croûte terrestre.
Le granite et basalte, deux pierres particulièrement dures (entre 5 et 6 sur l’échelle de Mohs, pour les connaisseurs), resteraient taillables avec les outils de l’époque, bien que les méthodes spécifiques d’artisanat alimentent les débats académiques. “Mais ce n’est clairement pas une pierre météoritique, et ça n’émet pas du tout d’ondes énergétiques”, confirme l’égyptologue Bénédicte Lhoyer, spécialiste de l’archéologie égyptienne et enseignante à l’École du Louvre.
L’Égypte antique, cible favorite des pseudosciences
Le pyramidion en question est donc bien connu et compris par la communauté scientifique. Pourtant, le texte de la publication Facebook circule sur Internet depuis au moins 2016, et a été publié par des médias comme le quotidien égyptien francophone Le Progrès égyptien. Des agences de tourisme peu scrupuleuses l’intègrent même dans leur programme.
Cette théorie précède l’ère d’Internet : en 1926, l’égyptologue Budge suggère l’idée de pyramidions en pierre de météorites. La spéculation n’a jamais été confirmée, mais est tout de même reprise par l’écrivain égyptien Robert Bauval en 1989.
“L’Égypte fait partie de ces civilisations qui se retrouvent au cœur d’une stratégie de désinformation”, déplore Bénédicte Lhoyer. Des théoristes sélectionnent des faits réels de l’histoire et de la science “pour trouver un objet qui parle aux gens et les fait rêver”, déduit-elle. On peut citer l’utilisation de fer météoritique de l’époque, prouvée par la dague dans le tombeau de Toutânkhamon.
Ces messages a priori inoffensifs cacheraient des conséquences néfastes insoupçonnées, avertit l’égyptologue. Par exemple, la désinformation sur l’Égypte antique prodigue parfois des théories identitaires suprémacistes.
Des publications qui suggèrent l’existence d’un graveur laser dans l’antiquité, ou de l’électricité dans les pyramides, discréditées par nos collègues de l’AFP, perpétueraient l’idée “d’une civilisation antique bien supérieure à la nôtre, à l’origine de toute notre culture”, explique Jean-Loïc Le Quellec.
Ces théories suggèrent soit la supériorité d’une race blanche, ou à l’inverse, d’une civilisation exclusivement subsaharienne, “dans l’idée de l’Afrique noire totale”, reprend Bénédicte Lhoyer, “dans les deux cas, une aberration absolue qui a malheureusement beaucoup d’ampleur.
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