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Des drapeaux de l'Union européenne flottent devant le bâtiment Berlaymont, à Bruxelles, siège de la Commission européenne - Fred Romero / CC BY 2.0

La Commission européenne doit-elle respecter la volonté des peuples ?

Création : 12 mars 2025

Auteur : Pierre Constant, étudiant en master de droit européen à l’Université Paris-Est Créteil

Relecteurs : Sarah Auclair, doctorante en droit public à l’Université Paris-Est Créteil

Vincent Couronne, docteur en droit européen, enseignant à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Nicolas Turcev, journaliste

Source : Frédéric Boccaletti, député du RN, le 18 février 2025

En pleine négociation pour faire aboutir l’accord entre l’Union européenne et le Mercosur, un député enjoint à la Commission européenne de respecter « la volonté des peuples ». Mais y est-elle tenue ? La justice européenne s’est penchée sur la question. Et ce n’est pas simple.

Le 18 février 2025, le député du Rassemblement National, Frédéric Boccaletti, s’est exprimé sur X (ex-Twitter) pour soutenir Marine Le Pen dans son opposition au traité de libre-échange du Mercosur, négocié par la Commission européenne. L’élu affirme que l’exécutif des 27 se doit de respecter la « volonté des peuples ».

Si cette affirmation trouve un certain écho dans les traités de l’Union européenne, elle ne saurait, en droit, être interprétée comme une contrainte directe pesant sur la commission, notamment au regard de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).

La Commission européenne est soumise au Parlement européen

L’article 17, paragraphe 7, du Traité sur l’Union européenne (TUE) prévoit que « le président, le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et les autres membres de la Commission sont soumis, en tant que collège, à un vote d’approbation du Parlement européen ».

La Commission est donc soumise à l’approbation du Parlement européen avant d’être formellement nommée par le Conseil européen à la majorité qualifiée. À ce titre, elle doit rendre compte de son action devant le Parlement, qui peut adopter une motion de censure à son encontre, conformément à l’article 17, paragraphe 8 du TUE.

Il n’existe donc pas de lien direct entre la Commission et les citoyens de l’Union, mais un mécanisme de représentation à plusieurs niveaux. La Commission est approuvée par le Parlement européen, lui-même élu au suffrage universel direct.  Cependant, cela signifie-t-il que la Commission peut être directement liée aux volontés des citoyens et citoyennes européens ?

Les citoyens ne peuvent pas influencer directement la Commission

Cette question trouve une réponse dans la décision « Puppinck » de la Cour de justice de l’Union européenne du 19 décembre 2019, relative à l’Initiative citoyenne européenne (ICE) et à son application par la Commission européenne.

Cet instrument, ajouté avec le Traité de Lisbonne de 2007, permet aux signataires d’une pétition atteignant le million de citoyens européens d’inviter la Commission à émettre une proposition législative en ce sens. La question posée au juge européen était de savoir si cette pétition obligeait la Commission à donner suite à cette pétition, et donc si elle pouvait être contrainte par les citoyens européens.

Pour y répondre, la CJUE s’est basée sur la décision « Meroni » de 1958 qui instaurait le principe d’« équilibre institutionnel ». Selon ce principe, chaque institution européenne ne peut exercer que les compétences qui lui sont attribuées par les traités, sans empiéter sur celles des autres institutions.

Dans cette optique, la Cour a estimé qu’accorder aux citoyens un pouvoir contraignant sur la Commission reviendrait à perturber l’équilibre voulu par les États membres lorsqu’ils ont rédigé les traités.

Cet équilibre serait ainsi rompu si l’on conférait à un million de citoyens un pouvoir plus grand sur la Commission que celui exercé conjointement par le Conseil et le Parlement. Dès lors, la Commission reste libre de donner suite ou non à une ICE, sans obligation juridique de s’y conformer.

En résumé, si la Commission européenne doit bien, en théorie, respecter la volonté des peuples, elle ne le fait que de manière indirecte, par l’intermédiaire du Parlement européen. En revanche, la notion de « volonté des peuples » ne saurait être invoquée comme un impératif juridique contraignant directement la Commission, en raison de l’absence de lien direct entre celle-ci et les citoyens de l’Union.