Credit : U.S. Army by Sgt. 1st Class Kulani Lakanaria

JO de Paris : le CIO a-t-il autorisé des messages politiques aux athlètes palestiniens mais pas aux israéliens ?

Création : 12 août 2024

Auteur : Antoine Mauvy, étudiant en droit à l’université Paris II Panthéon-Assas

Relectrice : Etienne Merle, journaliste et Lili Pillot, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Antoine Mauvy, étudiant en droit à l’université Paris II Panthéon-Assas

Source : Compte Facebook, le 27 juillet 2024

Sur Facebook, un internaute dénonce un traitement inégal entre athlètes israéliens et palestiniens. Les premiers auraient été interdits de porter des rubans jaunes en soutien aux otages du 7 octobre, tandis qu’un athlète palestinien aurait pu arborer une chemise représentant les enfants tués à Gaza. 

« Plus vite, plus haut, plus fort – ensemble ». Représentant la solidarité internationale malgré les conflits qui déchirent le monde, les Jeux olympiques (JO) sont parfois teintés de tensions. En 2024, les antagonismes politiques empiètent une nouvelle fois sur les valeurs de l’olympisme, à l’instar d’une publication Facebook postée le 28 juillet 2024, seulement deux jours après la cérémonie d’ouverture. 

« La honte » s’insurge un internaute. « Pourquoi cet athlète [Waseem Abu Sal, boxeur et porte-drapeau de la délégation palestinienne, ndlr] peut porter cette chemise décrivant un message politique, alors que vous interdisez aux athlètes israéliens de porter un ruban pour les otages ? « , interroge-t-il. 

Sur la chemise de cet athlète palestinien figurent des illustrations d’enfants, placés sous des bombes larguées par des avions militaires. Pour notre internaute, c’est une dérogation à l’article 50 de la charte des Jeux olympiques. Celui-ci interdirait aux sportifs toute « propagande politique, religieuse ou raciale (…) dans un lieu, site ou autre emplacement olympique », écrit l’internaute. 

Alors, qu’en est-il ? Un athlète a-t-il violé les règles des JO ?  Les Surligneurs ont décidé de se pencher sur la question. 

Des règles claires en principe

Tout d’abord, nous nous sommes penchés sur le règlement des Jeux olympiques. L’article 50 stipule bien qu’ »aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n’est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique », pendant les JO. 

C’est en s’appuyant sur cet article que le Comité olympique israélien a refusé aux athlètes d’arborer des rubans jaunes en soutien aux otages du 7 octobre, comme l’a révélé le média israélien Kan. « Il est interdit d’utiliser ou de porter tout signe à des fins politiques ou autres », a simplement rappelé le Comité à nos confrères. 

Mais si les règles sont claires, pourquoi l’athlète palestinien a-t-il pu porter une chemise dénonçant les bombardements à Gaza ? Sur ce sujet, l’explication n’est pas aussi limpide. 

Un flou sur l’autorisation de la chemise de Waseem Abu Sal

En effet, il est difficile de savoir si l’athlète a réellement été autorisé à porter cette chemise. Jibril Rajoub, le président du Comité olympique palestinien, affirme que oui.

L’homme a assuré à l’AFP avoir fait une demande préalable au comité d’organisation des Jeux olympiques de Paris (COJO) pour vérifier que la tenue de Waseem Abu Sal était bien conforme au règlement. « Nous l’avons présenté, ils l’ont approuvé », a-t-il garanti.  

Le boxeur palestinien Waseem Abu Sal s’entraînant dans un gymnase de la ville de Ramallah, en Cisjordanie occupée, en juin 2024. Photo : Zain JAAFAR / AFP

 

Les Surligneurs ont cherché à vérifier ses dires. Or, le COJO nous a renvoyé vers le Comité international olympique (CIO) qui dément toute autorisation : « Le CIO n’a pas approuvé la chemise à l’avance et n’était pas au courant », a fait savoir le service presse du Comité international.

Si Les Surligneurs n’ont pas été en mesure de vérifier avec certitude laquelle des deux versions était la bonne, deux hypothèses peuvent être émises. Si le COJO a bien autorisé le port de cette chemise, il semble ne pas avoir respecté son propre règlement. 

En revanche, si l’athlète palestinien a réalisé son geste « en douce », alors il est faux de reprocher au CIO d’avoir autorisé l’athlète à porter une chemise qui dénonce les bombardements à Gaza. 

Pour autant, dans les deux cas, il est erroné de prétendre qu’il y aurait un « deux poids, deux mesures » selon la nationalité des athlètes. Tout simplement parce que le Comité international olympique n’a, a minima, pas été saisi à la fois pour le cas palestinien et pour le cas israélien. Il n’a donc pas rendu de décision sur ces deux situations qui permettraient de juger d’un quelconque déséquilibre.

Une question reste néanmoins en suspens : si le CIO n’était pas au courant, pourquoi l’athlète, Waseem Abu Sal, n’a-t-il pas été sanctionné a posteriori de la cérémonie d’ouverture ? 

« Pas forcément cohérent »

Car c’est pourtant ce qui est arrivé, le vendredi 9 août 2024, à la breakeuse afghane Manizha Talash. Pendant une épreuve de danse, l’athlète a arboré un tissu sur lequel il était inscrit « Free Afghan Women » (« Libérez les femmes afghanes »). Le lendemain, la fédération internationale de danse sportive apprenait à l’AFP que la danseuse avait été disqualifiée en raison de son message jugé politique. Ce dernier contrevenant à l’article 50 de la Charte olympique. 

L’athlète afghane, Manizha Talash, brandit une veste sur laquelle il est inscrit « liberté pour les femmes afghanes », le 9 août 2024. Photo : Odd ANDERSEN / AFP

 

Pour autant, l’athlète afghane Kimia Yousofi qui, à la fin de sa course le 2 août dernier, a retourné son dossard pour montrer ce qu’elle y avait inscrit : « Éducation, Sports, Our rights » (« Éducation, sports, nos droits »), n’a quant à elle, pas été sanctionné.  Elle voulait pourtant, elle aussi, par son action, dénoncer la situation des femmes dans son pays, désormais aux mains des talibans. Deux séquences miroirs, aux conséquences inégales.

Selon Lukas Aubin, directeur de recherche à l’IRIS, chargé du Programme sport et géopolitique, difficile d’y voir clair : « Nous ne sommes pas dans les rideaux du CIO, nous ne savons pas exactement comment ils prennent leurs décisions, c’est plutôt confidentiel », indique-t-il. 

En revanche, une forme de tolérance semble se dessiner au fil des années : « Ce dont on est sûr et qui fait consensus chez les chercheurs, c’est que le CIO est devenu plus laxiste à l’égard des signaux politiques des athlètes ces dernières années. Sans pour autant les autoriser, ils en tolèrent certains. Concrètement lesquels ? Il faut regarder au cas par cas. Et ce n’est pas forcément toujours cohérent », affirme le chercheur. 

L’intransigeance prônée par le CIO concernant les messages politiques serait-elle un colosse au pied d’argile ?

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