Jean-Luc Mélenchon pratiquera l’opt out si l’Union européenne s’oppose à l’application de son programme une fois élu
Dernière modification : 27 juin 2022
Auteur : Quentin Dorn, master Droit et politiques de l’Union européenne, Université de Strasbourg
Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Source : France Inter, Un candidat face au 7/9, le 3 janvier 2022, 25’
Au risque de décevoir, l’opt out n’est pas un instrument permettant de se faire un menu à la carte parmi les règles européennes. C’est un instrument négocié avec les autres États membres, et on voit mal ces derniers accepter que la France s’exonère des règles de concurrence (et fasse donc du protectionnisme) pendant qu’eux en subissent les conséquences économiques et sociales sans contrepartie.
Répondant sur la partie européenne de son programme à l’élection présidentielle, Jean-Luc Mélenchon, député La France insoumise, doute de la possibilité de renégocier les traités européens, comme d’ailleurs nous en avions souligné la nécessité au vu de son programme. Il contourne alors la difficulté par une méthode unilatérale, sans négocier selon lui, proposant d’appliquer son programme et précisant que si l’Union européenne s’oppose à son contenu, “nous pratiquerons l’opt out. C’est-à-dire que nous dirons : « nous n’appliquons plus telle règle de l’Union européenne », et nous proclamerons le fait suivant : il y a un principe de non-régression sociale et écologique dans l’esprit des français ». Au risque de décevoir le leader LFI : cela ne changera rien à l’obligation de négocier.
Opt out ne signifie pas “service à la carte”, mais exemption négociée avec les autres Etats membres
Le candidat se trompe sur ce qu’il qualifie d’opt out. Cette notion – qu’on qualifie aussi de non-participation – est traditionnellement employée en droit de l’Union pour désigner la possibilité offerte à un État membre de ne pas participer à certaines politiques européennes et donc de ne pas être lié par les règles afférentes. Les exigences de cohérence et d’uniformité d’application du droit européen à l’échelle de l’Union imposent toutefois que ces possibilités d’exemption soient expressément et limitativement prévues par les traités. Cela signifie que les op out possibles sont prévus dans des protocoles annexés aux traités, et négociés dans les mêmes conditions. Ainsi, c’est le Protocole n°16, négocié entre États membres, qui a permis au Danemark de ne pas adhérer à l’euro.
Aucun des 38 protocoles annexés au traité de Lisbonne ne prévoit actuellement une telle possibilité pour la France, sauf sur le privilège de battre monnaie, conservé en Nouvelle-Calédonie, Polynésie et Wallis et Futuna (Protocole n° 18). Si Jean-Luc Mélenchon souhaite faire usage d’un droit d’opt out, cela ne peut se faire que par l’adoption préalable d’un nouveau protocole agréé par l’ensemble des Etats membres. Or, s’il doute de la possibilité de renégocier les traités européens, la possibilité de négocier un protocole semble tout aussi hypothétique.
Un opt out si large, que la négociation a peu de chances d’aboutir
Les quelque 37 protocoles négociés jusqu’à présent portent sur des particularismes (notamment liés aux territoires ultra-marins), ou le refus de certains pays de se voir appliquer certaines avancées de l’Union comme la coopération en matière de justice. Or l’opt out voulu par Jean-Luc Mélenchon consiste en réalité à revenir sur les règles européennes en vigueur, en particulier les règles de concurrence et de libre circulation, qu’il juge contraires aux mesures de son programme.
Pourquoi pas ? Mais il faudra obtenir l’accord des autres Etats, et c’est là que cela coince : il y a peu de chances qu’il obtienne gain de cause, car ces règles sont la base de l’Union, à savoir un marché intérieur qui profite à tous. Cela signifie que si certains s’en exonèrent et font donc du protectionnisme, les autres en subiront les conséquences économiques et sociales. On ne voit dès lors pas pourquoi ils accepteraient.
Que se passerait-il si la France faisait de l’opt out sans négocier ?
On en reviendrait à ce que nous avions déjà dit : la France serait en situation de violation des traités. La Déclaration relative à la primauté annexée au traité de Lisbonne précise la portée de ce principe continuellement rappelé depuis 1964 : « les traités et le droit adopté par l’Union sur la base des traités priment le droit des États membres ». Ainsi, un État membre ne peut refuser d’appliquer une règle européenne au motif que celle-ci serait contraire à une règle nationale, quelle que soit sa valeur. La primauté est à la base de l’ordre juridique de l’Union, toute tentative d’harmonisation au niveau européen serait vaine si les États membres avaient la possibilité d’adopter des règles nationales différentes.
La justification de cette solution par l’évocation d’un principe national de non-régression sociale et écologique – bien qu’originale – reste sans effet. En l’état actuel du droit, ce principe n’existe ni dans le système juridique européen ni dans le système juridique français. Même en acceptant l’idée de sa reconnaissance en France, le principe de primauté continuerait d’y faire obstacle. Seule une reconnaissance de ce principe au niveau européen permettrait de concilier le programme LFI et le droit de l’Union.
Contacté, Jean-Luc Mélenchon n’a pas répondu à nos sollicitations.
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