Jean-Luc Mélenchon ne voit pas sur quel fondement juridique repose la décision du préfet de la Guadeloupe d’instaurer un couvre-feu
Dernière modification : 27 juin 2022
Auteur : Jean-Philippe Siebert, master Métiers de l’administration, Université de Haute-Alsace
Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Source : Compte Twitter de Jean-Luc Mélenchon, 22 novembre 2021
Le couvre-feu fait partie depuis très longtemps de l’arsenal des préfets au service du maintien ou du rétablissement de l’ordre public. La seule question qu’on peut se poser est celle de sa proportionnalité au regard des troubles que vit la Guadeloupe. Mais c’est au juge d’en décider.
Les événements actuels en Guadeloupe interpellent par leur violence (attaques de casernes de pompiers et de postes de police, pillages de commerces, blocage de la voie publique…). La volonté de sauvegarder de l’ordre républicain a provoqué une réaction forte des autorités. Dans un arrêté publié le 19 novembre, le préfet de Guadeloupe a pris soin de détailler les faits, notamment les infractions pénales constatées, afin de justifier sa décision d’instaurer un couvre-feu sur toute l’île. Dans ce contexte, Jean-Luc Mélenchon remet en cause la légalité de ce couvre-feu et se dit en outre “curieux de connaître la décision du tribunal administratif [de Guadeloupe] s’il était saisi par un référé”. Nous allons le renseigner.
Le couvre-feu pour rétablir l’ordre public…
Représentant de l’État, le préfet dispose selon la loi des pouvoirs de police administrative générale. Une atteinte grave à l’ordre public l’autorise donc à prendre des mesures restreignant les libertés pour y mettre fin. Lorsque les services de sécurité et de secours sont débordés et que les arrestations ne suffisent pas à ramener le calme, le couvre-feu fait partie de l’arsenal juridique dont dispose le préfet, sous le contrôle du juge.
…mais sous réserve de proportionnalité par rapport aux troubles
Le couvre-feu, en ce qu’il porte atteinte à la liberté fondamentale d’aller et venir des individus, doit non seulement être motivé par des circonstances graves et urgentes, mais aussi demeurer proportionné aux troubles qu’il entend contenir. Le juge administratif considère de longue date que “la liberté est la règle et la mesure de police l’exception”. La gravité des troubles secouant l’île dépasse largement d’autres situations qui avaient déjà motivé l’instauration d’un couvre-feu auparavant : ainsi, les émeutes qui avaient embrasé un grand nombre de banlieues en 2005 justifièrent un couvre-feu dans certaines grandes villes comme Nice, Orléans, Le Havre, Amiens et Rouen. La mesure s’avérant même insuffisante, il a fallu instaurer l’état d’urgence.
En outre-mer, vu l’éloignement géographique du pouvoir central et en attendant des renforts, le préfet ne semblait pas avoir d’autre moyen d’action efficace, du moins c’est ce que devra décider le tribunal administratif s’il est saisi.
Plus largement, la jurisprudence admet le couvre-feu s’il cible bien les zones justifiant cette mesure. En l’occurrence, c’est toute l’île qui a été mise sous couvre-feu, ce qui peut conduire un juge à douter de la proportionnalité de la mesure : fallait-il viser toute l’île ou seulement certaines villes ou quartiers ? C’est une question de proportionnalité : toute mesure de police, comme c’est le cas du couvre-feu, doit être proportionnelle au trouble à l’ordre public (c’est la fameuse décision Benjamin de 1933). Le juge fait passer ce qu’on appelle dans le jargon un “triple test de proportionnalité” à la mesure de police qui a été prise : cette mesure était-elle adaptée à la situation, ou existait-il d’autres mesures plus aptes que le couvre-feu à faire cesser les troubles, notamment renforcer les forces de police ? Était-elle nécessaire, ou pouvait-on se passer de couvre-feu au profit par exemple d’une interdiction de circuler sur certains axes ? Était-elle proportionnée, ou suffisait-il de limiter le couvre-feu à certaines zones ? C’est au juge de répondre. Mais le couvre-feu n’a rien d’illégal en soi.
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