Crédits : Hudson Institute

Iran et Israël peuvent-ils revendiquer un droit à la légitime défense ?

Création : 8 août 2024

Autrice : Lili Pillot, journaliste

Relecteur : Etienne Merle, journaliste 

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétaire de rédaction : Lili Pillot, journaliste

Source : Post Facebook, 2 août 2024

Dans un contexte d’attaques indirectes et réciproques quasi-permanentes depuis avril 2024, Iran et Israël revendiquent mutuellement un droit de riposte. Dans l’hypothèse d’une réponse par la force armée, le droit à la légitime défense est, en théorie, strictement limité. Sauf que le droit international est une matière éminemment diplomatique, supplantée par la souveraineté des États. 

La tension entre Israël et l’Iran ne date pas d’hier. Les attentats du 7 octobre 2023, et la riposte d’Israël sur la Bande de Gaza, n’ont fait qu’intensifier la rivalité entre les deux pays. Mais aujourd’hui, experts et dirigeants des pays tiers au conflit israélo-palestinien redoutent une généralisation du conflit au Moyen-Orient, et l’éclatement d’une guerre ouverte entre ses deux grandes nations. 

Pour le moment, l’heure est plutôt au jeu du chat et de la souris. Le 31 juillet 2024, le chef du Hamas Ismaïl Haniyeh est tué dans une attaque imputée à Israël, sur le territoire iranien. Le leader du mouvement islamiste se trouvait à Téhéran pour la cérémonie d’investiture du nouveau président iranien. 

Quelques heures auparavant, la communauté internationale apprenait l’assassinat du chef militaire du Hezbollah, Fouad Chokr, dans une frappe à Beyrouth, revendiquée par Israël. Des attaques qui ne constituent qu’une réponse, selon l’État hébreu, à une pluie de roquettes sur le territoire annexé du plateau du Golan, qui a fait 12 morts et 30 blessés et dont la responsabilité est imputée au Hezbollah. 

Face aux ripostes ciblées d’Israël sur son territoire, l’Iran affirme avoir “légitimement le droit” de “punir” l’État hébreu. Ce dernier revendique lui régulièrement un droit de réponse face aux agressions qu’il subit. Alors qu’en est-il ? Les États ont-ils le droit de répondre à des agressions en utilisant leur force armée ?  Les Surligneurs font le point. 

Les conditions restrictives de la légitime défense 

Depuis la fin des deux guerres mondiales, en droit international et en principe, un État ne peut jamais recourir à la force armée. “C’est la règle inscrite à l’article 2 paragraphe 4 de la Charte des Nations Unies, indique Yann Jurovics, maître de conférence en droit public et international à l’Université d’Évry.

Pour autant, il existe deux exceptions : le recours à la force armée par le Conseil de sécurité, ou le recours à la légitime défense par un État agressé dans l’attente d’une décision du Conseil de sécurité. 

Cette notion de la légitime défense, inscrite à l’article 51 de la Charte des Nations Unies, ne peut pas être invoquée à tort et à travers. Pour qu’elle soit juridiquement valable, trois conditions doivent être réunies : “Il doit y avoir une menace ou une agression imminente et grave pour l’État. Il faut que cette réponse soit l’unique moyen de se défendre à l’agression et enfin, il faut qu’il y ait une proportionnalité entre la menace et la réponse défensive”, précise Mathilde Philip-Gay, professeure de droit constitutionnel et de droit international à l’université Jean Moulin Lyon III. 

Selon Yann Jurovics, concernant l’attaque imputée à Israël qui a tué le chef du Hamas dans la capitale iranienne, elle relève d’ailleurs plus de l’opération ciblée que de la légitime défense, comme c’était le cas dans l’affaire du Rainbow Warrior : “Israël peut considérer que le Hamas représente une menace, mais cela ne l’autorise pas à frapper ainsi sur le territoire de l’Iran qui ne représente pas une menace. On qualifie parfois de telles actions “opération de police””.  

D’autre part, en répondant à la menace du Hamas sur le territoire iranien, Israël a violé l’une des règles les plus élémentaires du droit international : le respect de souveraineté d’un État et de son territoire. C’est la première notion évoquée au paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte de Nations Unies : Les Membres de l’ONU s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force […] contre l’intégrité territoriale […] de tout État”

Les voies légales de la riposte, pas forcément évidentes 

En réponse aux attaques israéliennes sur le sol iranien et libanais, le régime iranien s’appuie également sur le droit pour affirmer la légitimité de sa riposte. Le lundi 5 août, le porte-parole du ministère iranien des affaires étrangères, Nasser Kanani, a affirmé que son pays avait “légalement le droit” de “punir” Israël.

Reste à savoir à quel type de punitions l’Iran fait référence. “Si c’est le recours à la force armée, l’Iran n’en a absolument pas le droit”, balaie Yann Jurovics, renvoyant aux notions de légitime défense et de souveraineté expliquées plus haut.

En revanche, d’autres dispositifs existent : “La punition éventuelle d’Israël peut aussi passer par la mise en œuvre de sa responsabilité d’État dans le cadre du droit international. L’Iran en a tout à fait le droit”, ajoute l’expert.

Mais peu de chances que cette hypothèse devienne réalité. “L’Iran semble privilégier la voie de la force plutôt que celle du droit international ”, analyse Yann Jurovics.

Autre problématique : la solution des voies légales n’est pas évidente. “Normalement, c’est à la justice d’intervenir. Il y a des mandats d’arrêt qui peuvent être déposés. Même si on comprend la frustration de la lenteur de la justice”, raisonne Mathilde Philip-Gay. 

Du côté du Conseil de sécurité, par qui passe “normalement le rétablissement de la paix”, rappelle l’experte, les blocages sont aussi nombreux. Aux exemples d’échecs de résolutions des conflits (comme au Rwanda ou en Ex-Yougoslavie), s’ajoute une actuelle paralysie de l’institution. “Le Conseil de sécurité est aujourd’hui complètement bloqué entre les États-Unis et la Russie. Ce qui implique des décisions très consensuelles”, déplore la professeure de droit.

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