Non, l’Iran n’a pas fermé son espace aérien pour « se préparer à la guerre » début avril
Auteur : Nicolas Turcev, journaliste
Relectrice : Clara Robert-Motta, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Clara Robert-Motta, journaliste
Source : X, le 2 avril 2025
Une vague de désinformation colporte la rumeur selon laquelle, en prévision d’un affrontement avec les États-Unis, la République islamique aurait cloué l’aviation au sol le 2 avril 2025. Il n’en est rien.
Vers une confrontation directe avec les États-Unis ? Le 2 avril 2025, une vague d’internautes a affirmé que la République islamique se préparait à un affrontement avec son rival américain. La preuve ? Le régime chiite aurait fermé son espace aérien, signe de turbulences à venir.
« Téhéran a pris une décision radicale face à la pression croissante des États-Unis. Selon l’agence de presse Mehr, l’Iran a fermé son espace aérien et placé ses forces armées en état d’alerte maximale. Un geste qui illustre la montée des tensions au Moyen-Orient et laisse présager un possible affrontement », peut-on lire dans une publication Facebook.
Une telle information peut paraître vraisemblable à première vue, en raison des tensions croissantes au Moyen-Orient. Pourtant, elle est totalement fausse.
Aucune notice de fermeture
Premièrement, il n’existe aucune dépêche de l’agence de presse iranienne Mehr rapportant la fermeture de l’espace aérien du pays le 2 avril. Le média ne fait pas non plus mention d’une escalade des tensions avec les États-Unis ni d’une mise en état d’alerte des forces armées. Contacté, le média n’a pas encore répondu à nos sollicitations.
Ensuite, il est relativement facile de vérifier, grâce aux outils disponibles en ligne, si l’espace aérien iranien a été fermé le 2 avril.
Les agences gouvernementales de contrôle aérien communiquent entre elles et auprès des pilotes via l’émission de notices visant à informer de toute modification de l’environnement de navigation.
Appelées « Notam » pour « Notice to Airmen » (message aux navigants aériens, en français), ces bribes de textes, consultables sur divers sites de surveillance du trafic aérien, sont cruciales pour assurer la sécurité des vols. Grâce à elles, les pilotes sont mis au courant, par exemple, d’un obstacle imprévu à l’atterrissage. Elles renseignent aussi sur la fermeture des espaces aériens.
À titre d’illustration, le 19 avril 2024, l’Iran avait partiellement fermé son espace aérien dans la partie ouest du pays après une attaque israélienne. En conséquence, l’autorité de contrôle aérien a émis une « Notam », consultable sur le site de l’agence américaine de contrôle de l’aviation civile (FAA).
« La zone suivante est fermée », indique la Notam, qui liste ensuite les régions concernées par la mesure d’exclusion. Le territoire couvert par la notice est indiqué par un code assigné à la région de vol, ici OIIX pour l’espace aérien iranien.
Par contraste, aucune Notam informant d’une fermeture de l’espace aérien iranien n’a été émise le 2 avril 2025, sur les 39 en vigueur ce jour-là recensées sur le site de la FAA.
Pas de fluctuation du trafic
Il est aussi possible de confirmer ou d’infirmer la fermeture de l’espace aérien iranien en vérifiant l’activité du trafic dans la zone. Les 2 et 3 avril derniers, la fréquence des départs et des arrivées à l’aéroport international Imam Khomeini de Téhéran, le principal aéroport du pays, n’a pas chuté de façon notable, d’après les données compilées par FlightAware.
Le site de surveillance du trafic aérien recense 75 arrivées et départs quotidiens les 2 et 3 avril, en légère baisse par rapport à 2024 (86) mais en hausse par rapport à 2023 (65). Le même constat s’applique à l’autre aéroport de Téhéran, l’aéroport Mehrabad.
Or, en cas de fermeture ou d’évitement d’un espace aérien, une baisse des arrivées et des départs devrait s’observer. À titre de comparaison, la fréquentation de l’aéroport de Téhéran a drastiquement chuté, début octobre 2024, après l’envoi par la République islamique de plus de 180 missiles en direction d’Israël. Par mesure de sécurité, plusieurs compagnies avaient décidé d’éviter le survol de l’Iran. Les arrivées et départs à l’aéroport Imam Khomeini avaient été divisés de moitié pendant près d’un mois.
Pour encore plus de précision, il est possible d’observer si les trajets quotidiens effectués à destination de l’aéroport de Téhéran ont été régulièrement déroutés ou annulés le 2 avril, ou bien le jour suivant. D’après nos constatations, aucune mesure de cette nature n’a été prise. Par exemple, les vols quotidiens des compagnies flydubai et Emirates, en provenance de Dubai, ont complété leur itinéraire sans accroc.
En résumé, tous les indicateurs montrent un trafic normal dans le pays, et en l’absence d’une Notam, il est possible d’affirmer que l’Iran n’a pas fermé son espace aérien le 2 avril dernier. Le survol de la République islamique reste toutefois ponctuellement perturbé par le conflit au Moyen-Orient et présente donc de potentiels dangers.
« L’Iran présente un risque élevé de mauvaise identification ou d’interception des survols » par les systèmes de défense antiaériens, explique l’ONG OPSGROUP, qui regroupe des professionnels de l’aviation civile. Le 8 janvier 2020, les forces iraniennes avaient abattu un avion en partance de Téhéran pour Kiev, faisant 176 morts.