Internet : Free héberge-t-il la moitié des contenus pédopornographiques ?
Auteur : Nicolas Kirilowits, journaliste
Relectrice : Lili Pillot, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, journaliste
Source : Compte Facebook, le 27 août 2024
“La moitié des fichiers pédopornographiques recensés dans le monde sont hébergés par Free”, affirme une publication Facebook. Une allégation qui, si elle était vraie il y a trois ans, à en croire le travail important fourni par une ONG canadienne, ne peut être confirmée aujourd’hui. Free, comme l’ensemble des grands acteurs d’Internet, sont concernés par la cyberpédocriminalité.
Internet, espace de liberté et de criminalité. Dans une actualité numérique vampirisée par l’arrestation en France du fondateur et dirigeant de Telegram, Pavel Durov, le 24 août dernier, les sous-entendus et autres théories pour expliquer cet événement sont légion sur les réseaux sociaux.
“La moitié des fichiers pédopornographiques recensés dans le monde sont hébergés par Free, propriété de Xavier Niel, l’oligarque le plus proche d’Emmanuel Macron”, affirmait un célèbre avocat sur Facebook, quelques jours après l’arrestation de Pavel Durov. Laissant entendre par là, capture d’écran d’un article à l’appui, que l’État était moins prompt à s’attaquer aux faits criminels sur Internet quand il s’agit d’intimes du Président.
Si Les Surligneurs n’ont pu vérifier l’existence d’un lien réel entre tranquillité judiciaire et amitiés présidentielles, nous nous sommes intéressés de près à l’accusation concernant l’opérateur français.
Un rapport accablant pour Free
Celle-ci émane d’une seule source, un rapport publié en 2021 par le Centre canadien de protection de l’enfance (CCPE), “un organisme de bienfaisance national”, selon les termes employés sur son site Internet, créé en 1985.
Portant sur l’accessibilité des images d’abus pédosexuels sur Internet, ce rapport dévoile en effet que près de la moitié – 48 % précisément — des fichiers pédocriminels analysés par le CCPE étaient hébergés par le fournisseur d’accès à Internet Free. Un chapitre entier est d’ailleurs dédié au cas de l’opérateur français.
Au regard de l’expérience de l’organisation auteure du rapport, par ailleurs partenaire du très reconnu Centre national américain pour les enfants disparus et exploités (National Center for Missing & Exploited Children, NCMEC) et de l’échantillon des données, il n’y a pas de raisons de douter de la qualité de l’enquête menée.
En effet, cette dernière a analysé “les caractéristiques de 5,4 millions de photos et de vidéos d’abus pédosexuels et d’images préjudiciables ou violentes détectées sur les serveurs de 760 fournisseurs de services électroniques”, dans le monde entier, est-il détaillé. Dans un article publié en 2021 par nos confrères de CheckNews, la société Free elle-même, à travers l’intermédiaire de son service de communication, ne semblait pas remettre en cause le fond de cette accusation. Contacté également par Les Surligneurs, nous n’avons reçu aucune réponse en vue d’une mise à jour des faits mentionnés.
Hausse de la pédocriminalité en ligne
Car, la problématique posée par cette publication est bien celle de la temporalité. Autrement dit, une donnée évaluée sérieusement en 2021, est-elle toujours valable trois ans plus tard ? Il semble, malgré nos nombreuses recherches effectuées, difficile de l’infirmer ou de le confirmer. Joint par Les Surligneurs, le CCPE n’a pas été en mesure de répondre à nos questions.
Toutefois, au regard des données publiées par certains acteurs en charge de la lutte contre la pédocriminalité, et en considérant plus simplement la numérisation toujours plus importante de nos sociétés, il est clair que la tendance n’est pas à un ralentissement du phénomène pédocriminel en ligne.
Dans un article en ligne, publié en mars dernier, la gendarmerie nationale relayait les propos du colonel Hervé Pétry, commandant de l’Unité nationale cyber : “La lutte contre la pédocriminalité en ligne a évolué depuis ces dernières années, notamment à la suite de la crise sanitaire. C’est-à-dire que les acteurs habituels, qui étaient très tournés vers le tourisme sexuel, s’orientent vers des pratiques en ligne.”
Une position confirmée dans plusieurs interviews récentes (ici et là) par la responsable de l’Office mineurs (Ofmin), un office rattaché au ministère de l’Intérieur, Gabrielle Hazan. Elle y indiquait notamment que les signalements de contenus web pédocriminels avaient augmenté de 12 000 % en dix ans.
“Nous en avons reçu 318 000 à l’Office mineurs en 2023. On en comptait 227 000 en 2022”, ajoutait-elle. Dans une publication LinkedIn, Gabrielle Hazan précisait également que le NCMEC avait reçu, en 2023, “36,2 millions de signalements d’abus sexuels sur mineurs en ligne : soit une augmentation de 300 % depuis 2021”. Des données que l’on retrouve dans ce rapport publié (en anglais) par l’organisation.
Concernant Free, précisément, Steven Moore, fondateur de la “Team Moore”, un collectif de citoyens qui s’est fait connaître depuis quelques années pour ses investigations contre des cyberpédocriminels, estime que “rien n’a changé”.“Ils font de la communication comme tous les autres, toutes les plateformes sont concernées”. Et de préciser qu’il s’agit, selon lui, d’ « un sujet complexe, délicat et qui dérange parce qu’il ouvre une porte sur une réalité que beaucoup ne préfèrent pas regarder ».
Des responsabilités diffuses
Une position sans concession que ne partage pas tout à fait Yann Lescop, chef de projet et d’études au sein de « Point de Contact », une association française spécialisée dans le signalement de contenus illicites. “Free a perdu sa réputation de gros hébergeur de contenus pédocriminels”, estime-t-il, même si, ajoute-t-il, “cela ne signifie pas que l’opérateur n’héberge plus du tout de contenus pédocriminels”. D’après les données communiquées par l’association aux Surligneurs, le nombre de contenus pédocriminels hébergés par Free en France et identifiés par « Point de Contact » serait passé de 2465 en 2020 à 1 en 2023.
De manière générale, tous les grands acteurs d’Internet semblent concernés par le phénomène comme le prouvent, par exemple, cette audition menée par le Sénat étasunien et à laquelle ont dû répondre les cinq dirigeants des plus importants réseaux sociaux, ou encore le nombre très important d’articles de presse et de reportages, français ou étrangers, traitant de cette problématique : La Voix du Nord, Arte, The Guardian, France Culture, TF1, Le Monde.
Il est difficile, voire impossible, toutefois de définir précisément, en l’état actuel des connaissances, la part de responsabilité de chacun.
Une erreur dans ce contenu ? Vous souhaitez soumettre une information à vérifier ? Faites-le nous savoir en utilisant notre formulaire en ligne. Retrouvez notre politique de correction et de soumission d'informations sur la page Notre méthode.