Inondations à Dubaï : la faute à l’Homme ou au climat ?
Autrice : Lili Pillot, journaliste
Relecteur : Etienne Merle, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Sasha Morsli Gauthier
Source : Compte Instagram, 18 avril 2024
Dans une vidéo publiée sur Instagram, un internaute explique que l’ensemencement des nuages est à l’origine des énormes inondations survenues à Dubaï le mardi 16 avril 2024. Une théorie peu probable.
L’équivalent de deux ans de pluie en seulement 24h : c’est ce qu’ont connu les Émirats Arabes Unis mardi 16 avril 2024. Et selon certaines théories sur les réseaux sociaux, l’ensemencement des nuages, une technique qui consiste à « faire pleuvoir » artificiellement, serait à l’origine des 254 millimètres de pluie tombés dans ce pays au climat désertique.
C’est notamment ce qu’affirme Jean-Baptise Brasselet, expatrié français à Dubaï, dans une courte vidéo publiée sur Instagram le jeudi 18 avril et qui comptabilise plus de 600 000 vues : »Il y a eu trop de lancement de sel dans ces nuages, ce qui fait que ça a créé des gros orages. »
Rien ne permet pourtant d’affirmer que le déluge qui s’est abattu à Dubaï soit lié à une intervention humaine. À l’heure actuelle, les experts ne savent pas si cette technique de l’ensemencement, utilisée dans plusieurs régions du monde, a un réel impact sur la pluviométrie.
L’ensemencement des nuages, quèsaco ?
Tout d’abord, arrêtons-nous un instant sur l’ensemencement des nuages. « C’est une forme d’accélérateur du processus naturel du phénomène pluvieux », explique Roland Séférian, climatologue chez Météo-France. La technique consiste à injecter dans les nuages déjà présents des particules d’aérosols, souvent de l’iodure d’argent, qui font grossir, fusionner puis tomber les gouttes d’eau naturelles.
Elle est utilisée dans les pays victimes de sécheresse, comme les Émirats Arabes Unis depuis 2002 pour lutter contre la chaleur, mais aussi parfois pour éviter des intempéries comme ce fut le cas aux Jeux Olympiques de Pékin en 2008.
Pour projeter ces particules dans les nuages, il existe plusieurs méthodes : soit avec des générateurs installés au sol qui vaporisent l’air chargé de particules vers les nuages, soit le dépôt de ces particules directement dans les nuages grâce à des fusées ou des avions. Une méthode qui a d’ailleurs alimenté les thèses complotistes à propos des « chemtrails ».
Une méthode a priori peu efficace
Si aujourd’hui on maîtrise le fonctionnement de l’ensemencement, est-ce qu’il serait techniquement possible qu’il provoque de fortes inondations comme celles survenues à Dubaï ? « Avec ce qu’on fait actuellement c’est impossible. On a déjà du mal à prouver que ça marche« , explique Andréa Flossman, professeure à l’université Clermont Auvergne et co-responsable du groupement d’experts sur la modification du temps pour l’Organisation météorologique mondiale (OMM). Selon l’experte, les récentes inondations seraient davantage dues à « une combinaison du réchauffement climatique et du phénomène El Niño. »
« On a du mal à voir l’efficacité de cette technique d’une manière générale« , abonde Roland Séférian. « Les mécanismes de la microphysique nuageuse sont très complexes et on est incapable d’attribuer une causse à un effet. » En clair, il est très difficile d’établir le degré de responsabilité de l’ensemencement quand il pleut. D’autant que la technique s’opère obligatoirement sur un nuage déjà formé, qui pourrait naturellement se transformer en pluie sans une intervention humaine.
Malgré ces doutes, l’ensemencement s’est largement développé à travers le monde. D’abord utilisé à des fins militaires, notamment pendant la guerre du Vietnam, Israël l’expérimentait déjà dans les années 60 pour augmenter les précipitations (neige et pluie). Mais « au bout de plus de 20 ans d’expérience […], ils se sont rendus compte qu’il n’y avait aucun effet » rapporte Roland Séférian. En 2023, un rapport de la nouvelle expérience « Israel 4« établissait en effet que les premiers résultats n’étant pas concluants, l’expérience avait été stoppée avec un an d’avance.
En revanche, certaines expériences prouvent que l’ensemencement des nuages peut être efficace mais dans des conditions bien particulières. « Ça fonctionne pour un type de nuage : ceux qui se forment en relief et en hiver. Ils sont alors obligés de monter dans le ciel« , résume Andréa Flossman. Ce qui est loin d’être le cas de Dubaï, située à 5 mètres seulement au dessus de la mer et soumise à un climat de type désertique et chaud.
Pas d’opérations d’ensemencement le 16 avril
La piste de l’ensemencement des nuages est aussi écartée pour les inondations à Dubaï depuis qu’Omar Al Yazeedi, directeur de recherche et développement de l’administration météorologique du pays, a confirmé que « le Centre National de Météorologie [du pays] n’a conduit aucune opération d’ensemencement [pendant les inondations] » aux médias américains et émiratis CNBC et The National.
L’administration météorologique du gouvernement émirat avait anticipé les fortes précipitations et « n’a donc pas utilisé l’ensemencement car [la tempête] était déjà forte » a précisé à l’AFP Maryam Al Shehhi, ingénieure environnement et rattachée au Centre National de Météorologie émirati.
Une information que Jean-Baptise Brasselet a d’ailleurs précisée dans une seconde vidéo publiée le 20 avril : « L’ensemencement des nuages n’a apparemment pas été fait le jour de la tempête« , reconnait-il, sans pour autant supprimer sa première publication.
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