Ian Brossat, sénateur PCF : « des milliers de personnes dorment dehors… des bâtiments sont vacants… les maires doivent pouvoir réquisitionner »

Création : 10 janvier 2024
Dernière modification : 11 janvier 2024

Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay

Liens d’intérêts : aucun

Fonctions politiques ou similaires : aucune

Relectrice : Isabelle Muller-Quoy, maître de conférences en droit public, Université de Picardie Jules Verne

Liens d’intérêts : aucun

Fonctions politiques ou similaires : aucune

Secrétariat de rédaction : Guillaume Baticle

Source : France Info, le 8 janvier 2024

Actuellement, les maires peuvent déjà réquisitionner des logements, mais seulement en cas d’urgence, de péril immédiat pour les personnes sans abri, et de façon provisoire. Réquisitionner de manière durable suppose de modifier la loi, mais qui payera pour indemniser les propriétaires ?

S’exprimant sur France Info le 8 janvier, Ian Brossat, Sénateur PCF de Paris et ancien adjoint au maire de Paris, a lancé une pétition pour la réquisition de bâtiments susceptibles de servir de logements aux personnes sans abri. Déplorant que les préfets rechignent à exercer leur pouvoir de réquisition à l’encontre des propriétaires privés, il propose que les « villes aient la possibilité (…) de réquisitionner des logements vacants« .  Il demande donc que soit « transférée la compétence de réquisition » aux maires.
Or, il faut savoir que les maires peuvent déjà réquisitionner des logements, mais que cette faculté est très encadrée, bien trop aux yeux du sénateur communiste…

Les maires peuvent déjà réquisitionner des logements, mais de manière ponctuelle et provisoire

C’est peu connu, mais l’article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales prévoit que les maires doivent « prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux ainsi que les pollutions de toute nature (…) de pourvoir d’urgence à toutes les mesures d’assistance et de secours et, s’il y a lieu, de provoquer l’intervention de l’administration supérieure ». La réquisition de logements en faveur des personnes sans abri n’est pas expressément mentionnée par ce texte, mais le juge reconnaît qu’un maire, sur ce fondement, peut réquisitionner un logement privé vacant pour le mettre à disposition d’une personne sans abri.
Mais encore faut-il que les conditions de l’article L. 2212-2 soient respectées : la réquisition est une mesure de police administrative, c’est-à-dire destinée à empêcher ou faire cesser un trouble à l’ordre public, ce trouble étant en l’occurrence, et par exemple, qu’une ou plusieurs personnes puissent trouver la mort en dormant dehors par grand froid.
Ainsi, lorsque le maire de Saint-Denis (93) avait réquisitionné un immeuble vacant pour y loger huit familles en mars 2009, le juge administratif avait annulé son arrêté de réquisition : selon cette décision, indépendamment de la situation précaire des familles en question, « le maire n’était pas confronté à une situation d’urgence de trouble grave à l’ordre public telle qu’elle justifiait qu’il use ainsi de son pouvoir de réquisition pour pourvoir à l’hébergement sur place de familles » (Cour administrative d’appel de Versailles, 3 mars 2011). En d’autres termes, le pouvoir de réquisition des maires permet uniquement de répondre à des situations urgentes de détresse ou péril immédiat, pas de tenter de résoudre la pénurie de logements de manière pérenne. Et lorsque la situation d’urgence disparaît, la réquisition doit cesser. D’où la difficulté à appliquer ce texte et la rareté des réquisitions.

Modifier la loi pour réquisitionner de manière durable, mais les communes payeront-elles ?

Pour permettre aux maires de réquisitionner des logements vacants de manière durable, sans être limités par l’urgence, il faudrait modifier la loi, ce que sait d’ailleurs Ian Brossat : ce dernier nous a fait savoir ce jour qu’il a déposé avec d’autres sénateurs de son groupe une proposition de loi « relative à l’évolution du droit de réquisition de biens immobiliers en zone tendue« . Il s’agirait de modifier les articles L.641-1 et suivants du code de la construction et de l’habitation (CCH), qui permettent aux préfets de réquisitionner des logements pour un an renouvelable en faveur notamment des « personnes dépourvues de logement ou logées dans des conditions manifestement insuffisantes » (article L. 641-2 CCH). Alors qu’en l’état actuel du texte c’est le préfet qui réquisitionne « après avis du maire« , la proposition de loi crée une double compétence : « Le maire et le représentant de l’Etat dans le département peuvent » réquisitionner. En somme, le préfet ne serait plus la seule autorité à pouvoir mettre en œuvre le droit au logement par réquisition : le maire pourrait y contribuer sans l’aval du préfet.

Reste que toute réquisition suppose indemnisation. Le CCH prévoit que le bénéficiaire d’une réquisition doit payer une « indemnité » au propriétaire du logement réquisitionné qu’il occupe, dont le montant est fonction de la surface (article L. 641-7 CCH). L’article L. 641-8 prévoit que l’Etat règle cette indemnité au propriétaire du logement  si l’occupant ne le fait pas, et se retourne contre ce dernier. En somme, ces réquisitions ne sont pas sans risques financiers pour l’autorité qui la met en œuvre. Si ce sont les communes qui y procèdent, la logique voudrait qu’elles en assument aussi le coût…

 

Article modifié le 11 janvier à 18h50 après observations de M. Ian Brossat.

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